Brésil : le discours sur “l’innovation” s’oppose à la réalité que vivent travailleurs d’un fournisseur d’Agropalma

Agropalma commença à fonctionner en 1982 et, d’après son site web, elle est devenue depuis « le principal producteur d’huile de palme d’Amérique latine ».[1] Ses plantations de palmiers à huile se trouvent dans l’État de Pará, dans la région est de l’Amazonie brésilienne, où elle possède un moulin et une raffinerie dans le port de Belém, capitale de l’État. Agropalma est membre du ‘Groupe d’innovation pour l’huile de palme’,[2] créé en juin 2013 à Jakarta. Ce groupe est le résultat d’une initiative commune des ONG Greenpeace, WWF, RAN et FPP, ainsi que d’Agropalma et d’autres entreprises que celle-ci décrit dans son site web comme des « leaders reconnus de l’industrie en matière d’innovation socio-écologique ». L’entreprise déclare que l’objectif de cette initiative a été « d’intensifier et d’améliorer les principes et les critères de la Table Ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), lesquels principes et critères auraient pu être élargis pendant la dernière révision faite en janvier 2013, surtout en ce qui concerne la déforestation, les stocks de carbone, la biodiversité et les rapports sociaux ».

Un des critères du ‘Groupe d’innovation pour l’huile de palme’ concerne les droits du travail et le comportement des entreprises dans ce domaine.[3] Les rapports sociaux et les droits du travail ont été un véritable problème pour Agropalma. À deux reprises, les inspecteurs du ministère brésilien du Travail et de l’Emploi on trouvé les travailleurs des plantations du propriétaire Altino Coelho de Miranda, fournisseur d’Agropalma en fruits de palmier, dans une situation semblable à l’esclavage. Au cours du premier incident, en 2007, les inspecteurs avaient libéré 15 travailleurs. Pour ce délit, Miranda fut condamné en 2009 à huit ans d’emprisonnement, mais il fit appel de la sentence. La décision définitive n’a pas encore été prise ; ce retard n’est pas inhabituel dans le système judiciaire brésilien. En attendant, Miranda fut attrapé en train de commettre le même délit en 2012, et 10 travailleurs furent libérés par une équipe d’inspection du gouvernement. Une fois de plus, ces personnes vivaient et travaillaient dans des conditions proches de l’esclavage. Agropalma a été interpellée par l’ONG brésilienne Reporter Brasil, qui a joué un rôle important dans la lutte contre le travail esclave au Brésil. Reporter Brasil demanda à l’entreprise pourquoi elle n’avait pas annulé le contrat avec Miranda après le premier incident. Agropalma répondit, par l’intermédiaire du directeur de la responsabilité environnementale, Tulio Dias, qu’à l’époque l’entreprise avait un contrat de 25 ans avec Miranda ; ce contrat incluait une clause qui permettait à Agropalma de le résilier en cas de violation de la législation du travail, l’entreprise avait préféré de prendre des « mesures pédagogiques » pour encourager Miranda à s’amender : « L’annulation du contrat aurait équivalu à fuir le problème, et non à le résoudre ».[4] Néanmoins, le travail esclave étant un délit selon la législation brésilienne, en continuant d’acheter des produits à ce fournisseur Agropalma est elle aussi responsable de ce délit et de violations graves et réitérées des droits de l’homme. Miranda avait déjà été condamné à non moins de huit années d’emprisonnement ; bien qu’il ait recouru à son droit d’interjeter appel, il est inconcevable qu’un membre de la RSPO puisse considérer que les « mesures pédagogiques » à l’égard de ses fournisseurs sont une réponse appropriée dans ce contexte.

En juin 2013 seulement, Agropalma publia un communiqué de presse où elle déclarait « qu’elle avait exclu M. Altino Coelho Miranda de sa liste de fournisseurs ». Le communiqué de presse explique que la résiliation du contrat est due au fait que le producteur avait été inclus dans la liste d’entreprises et de personnes sanctionnées pour avoir employé des personnes dans des conditions semblables à celles de l’esclavage ; cette liste avait été publiée par le ministère du Travail et de l’Emploi le 28 juin 2013. Le communiqué signale que le producteur a fait appel de la décision du tribunal mais que l’inclusion de l’entreprise dans la liste noire a porté Agropalma à considérer que « la seule chose à faire était de l’exclure . Pour prendre cette décision, Agropalma a pris en compte la législation brésilienne, le code de conduite interne de la société et les principes et critères de la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO, principe 6, critères 6.5 et6.12 ».[5]

Apparemment, ni la peine de huit ans de prison que l’agriculteur avait reçue en 2009 ni le fait que les autorités aient découvert en 2007 qu’il obligeait 15 personnes à travailler et à vivre en situation d’esclavage n’avaient été considérés suffisamment inquiétants par Agropalma pour justifier la résiliation de son contrat avec Miranda. Seule l’inclusion de Miranda dans la liste noire officielle l’avait obligée à agir et à le rayer de la liste de ses fournisseurs. La liste noire en question est publiée et mise à jour régulièrement par le gouvernement.

Il est alarmant qu’une entreprise qui participe à une initiative à laquelle adhèrent « des leaders reconnus en matière d’innovation écologique et sociale » ne voie pas d’inconvénient à entretenir des rapports avec un fournisseur qui a été surpris deux fois à soumettre ses travailleurs à des conditions voisines de l’esclavage. Seule l’inclusion de ce fournisseur dans la liste noire officielle semble avoir poussé Agropalma à décider de résilier le contrat au lieu de prendre des « mesures pédagogiques ». Le travail esclave continue d’exister partout dans les zones rurales du Brésil.

Pour davantage d’information sur les répercussions environnementales et sociales d’Agropalma voir : (1) Impactos socioambientais da dendeicultura em comunidades tradicionais na Amazônia Paraense”, de João Santos Nahum et Cleison Bastos dos Santos, 2013. ACTA Geográfica, Boa Vista, Ed. Especial geografia agraria, p. 63-80, et (2) Reporterbrasil, “Expansão do dendê na Amazônia brasileira”, 2013,http://reporterbrasil.org.br/documentos/Dende2013.pdf.

[1] www.agropalma.com.br
[2] http://www.agropalma.com.br/palm-oil-innovation-group.asp
[3] http://www.agropalma.com.br/palm-oil-innovation-group.asp
[4] http://reporterbrasil.org.br/2012/12/denuncias-de-violencia-e-trabalho-escravo-envolvem-cultura-do-dende-no-para
[5] http://reporterbrasil.org.br/2013/07/nota-da-agropalma/