« Je viens d'une famille qui considère les semences comme sacrées. Au temps de mon père, les voisins pouvaient dormir tranquilles, parce qu'ils savaient qu'il avait des semences en réserve. » (Un agriculteur familial de Paraíba)
Les semences sont le plus grand patrimoine des agriculteurs. Elles sont la base de la production agricole et, par conséquent, de l'alimentation de n'importe quel pays. Tout au long de dix mille ans, des communautés d'agriculteurs, d'indigènes et d'autochtones ont amélioré et multiplié leurs semences librement, et ils ont fait de l'échange de semences une occasion d'union et de partage entre les peuples et les nations.
C'est la raison pour laquelle des traités comme le Traité international sur les ressources phytogénétiques utiles à l'alimentation et à l'agriculture – TIRFAA, (articles 5, 6 et 9) – et la Convention sur la diversité biologique – CDB (art. 10c et 8j) – protègent et encouragent le renforcement des pratiques communes, comme le stockage, l'échange, la vente et l'amélioration de semences sur place (dans les unités de production), car elles sont fondamentales pour la conservation de la diversité biologique agricole des pays.
C'est seulement au cours des 40 ou 50 dernières années que les semences sont devenues une grande affaire. De petites modifications introduites par les multinationales peuvent être brevetées et les semences, qu'on a toujours pu échanger librement, ont été privatisées, passant des mains des agriculteurs, c'est-à-dire des citoyens de chaque pays, à celles des grandes entreprises.
Avec le développement des organismes transgéniques, les entreprises ont mis en place un type de modification génétique qui leur permet de garder un contrôle total des semences, de sorte que les agriculteurs, et même les grands producteurs, dépendent absolument des multinationales pour obtenir leurs semences. Notre alimentation sera ainsi contrôlée par quatre ou cinq entreprises qui dominent plus de 60 % du marché mondial de semences. Ce nouveau type d'organisme transgénique est appeléTerminator .
« Mon père en avait l'habitude, il semait une année, ensuite il sélectionnait, il égrenait tout à la main, je me rappelle que je l'aidais, c'était joli d'égrener comme ça. Alors, vous imaginez, avec des semences comme celles-là, cette tradition disparaîtrait, n'est-ce pas ? Et puis, elles ne pourront pas être utilisées à nouveau. » (Un agriculteur familial de Paraná)
La technologie Terminator (« exterminateur » d'après l'anglais) concerne des modifications génétiques que l'on fait pour que les plantes produisent des graines stériles, c'est-à-dire qu'elles ne se reproduisent pas. Dans les milieux scientifiques, on l'appelle GURT, sigle en anglais de « technologies génétiques de restriction de l'utilisation ». Ainsi, on contrôle biologiquement L'usage que chacun en fait, puisque les graines d'une variété Terminator que l'on garde après la récolte ne pourront pas être semées à la saison suivante parce qu'elles ne germineront pas, elles seront mortes.
« C'est comme si nous étions programmés pour mourir. Comme si nous savions que nous allons mourir à une date déterminée. Comme si nous étions ici pour peu de temps ; la récolte finie, nous mourrions. Voilà ce qu'ils prévoient pour les semences. »(Un agriculteur familial de Sao Paulo)
Quelles sont les conséquences possibles de cette technologie ?
Un groupe d'experts engagés par les Nations unies a évalué les effets potentiels des GURT sur les agriculteurs familiaux, les paysans et les communautés traditionnelles, et il a conclu qu'ils représentent une forte menace pour la souveraineté et la sécurité alimentaires de ces communautés.
Parmi les effets négatifs de la technologie Terminator mentionnés dans le rapport des experts figurent les suivants :
• Elle peut diminuer et limiter les pratiques traditionnelles d'échange de semences ;
• elle peut réduire la capacité d'innovation et les connaissances des communautés sur l'amélioration des plantes ;
• elle peut réduire ou affecter négativement la diversité biologique agricole locale, et détériorer ainsi les systèmes de connaissance traditionnels ;
• elle peut mener à la dépendance ou à la perte de récoltes ;
• elle peut causer des modifications écologiques négatives qui seraient irréversibles, du fait du croisement de variétés Terminator avec des plantes normales.
La justification la plus récente pour utiliser les GURT est qu'elles représenteraient une « mesure de biosécurité » pour éviter que les variétés transgéniques contaminent les plantes conventionnelles ou agro-écologiques.
Cet argument est particulièrement pervers, car il peut donner lieu à la situation suivante pour les agriculteurs familiaux et les paysans : même en admettant qu'il n'y aurait pas de continuité dans la contamination, le fait est que cette contamination existerait dans la première génération, et que l'agriculteur conventionnel ou biologique contaminé perdrait ses semences à partir de là, parce qu'elles seraient contaminées par leTerminator . C'est-à-dire que si la contamination ne se poursuivait pas, ce serait parce que les graines de l'agriculteur contaminé seraient devenues, elles aussi, stériles.
Pour ces raisons parmi d'autres, les 193 pays membres de la Convention sur la diversité biologique ont pris en 2000 la Décision V/5, qui laisse en suspens l'application des technologies de restriction d'utilisation. Cette suspension a été renouvelée par les diverses CdP, y compris la CdP 10 qui a eu lieu à Nagoya, comme le signale la Division de l'environnement d'Itamaraty (Aviso nº 10/DEMA/CGFOME/AFEPA/SEAN BRAS) du 23 avril 2010.
« C'est une technologie qui réduit l'autonomie des petits agriculteurs, parce qu'elle ne fortifie que les grandes entreprises qui produiront les semences. On va priver l'agriculteur de la possibilité de sélectionner les semences, de les garder comme il en a l'habitude, comme il a appris à le faire avec son père, sa mère, son grand-père. » (Un agriculteur familial de Maranhão)
Quelle est la situation au Brésil ?
À l'heure actuelle, la Loi sur la biosécurité interdit « l'utilisation, la commercialisation, l'enregistrement, le brevetage et l'autorisation de technologies génétiques de restriction de l'utilisation » (Loi nº 11.105, art. 6), qui impliquent la génération de structures reproductives stériles ou l'activation et la désactivation des gènes associés à la fertilité des plantes par des moyens chimiques extérieurs.
Or, malgré la suspension internationale et l'interdiction nationale, des projets de loi essaient d'autoriser la commercialisation de semences Terminator au Brésil. Le premier est le PL 268/07, présenté à l'origine par Mme Katia Abreu, aujourd'hui sénateur (DEM-GO), et signé maintenant par le député Eduardo Sciarra du DEM-PR ; le deuxième est le PL 5575/09, présenté en 2009 par le député Cândido Vacarezza (PT-SP) qui n'a jamais joué aucun rôle dans le domaine de l'agriculture. L'année dernière, la « Campagne pour un Brésil écologique et sans organismes transgéniques » a dénoncé que le fichier qui contient le projet de loi en question et qui est disponible sur le site web de la Chambre des députés... provient de l'ordinateur d'une des avocates de l'entreprise Monsanto ! Cela montre clairement quels sont les intérêts cachés derrière ce projet de loi. Les démarches dans la Chambre ayant été très critiquées, on vient de proposer de créer une commission spéciale pour les faciliter.
« Il y a d'abord la misère. De quoi vivons-nous, les petits agriculteurs ? De nos propres semences ! Nous ne pouvons pas acheter les semences ! Nous les produisons nous-mêmes. Vous imaginez la misère que cela peut provoquer ? Parce que l'agriculteur ne pourra pas planter les semences qu'il a. Alors, au lieu d'aider l'agriculteur, on ne lui apportera que plus de misère. » (Une agricultrice familiale de Paraná)
« Je crois que la perte de ces semences aurait un fort impact au Brésil, puisque l'agriculteur deviendrait dépendant, il devrait chaque année acheter les semences aux multinationales. Pour nous, cela représente une régression dans le progrès culturel des communautés. En outre, ce qui alimente aujourd'hui le Brésil c'est l'agriculture paysanne, et nous, qui devons garder les semences dès que nous les retirons, nous n'avons pas les moyens nécessaires pour acheter de nouvelles semences tous les ans. » (Un agriculteur familial de Paraná)
Au Brésil, les pressions pour que les arbres transgéniques soient approuvés augmente de jour en jour. Alors que la plupart des pays membres de la CDB se méfient des arbres transgéniques, certains autres ont réussi à obtenir que chacun puisse décider, à ses risques et périls, de les approuver. Pourtant, les risques augmentent, le pollen des arbres se disperse sur des distances beaucoup plus grandes, rendant la contamination plus probable. Les progrès de la biologie synthétique pour l'utilisation de la cellulose comme agrocombustible font que les entreprises transnationales exercent de fortes pressions en faveur de l'approbation de l'eucalyptus transgénique, déjà à l'étude à la CTNBio.
Comme nous l'avons dit, un des arguments pour utiliser la technologie Terminator est que cela permettrait d'éviter la propagation de la contamination. Pourtant, d'après les chercheurs, cette technologie est très instable, elle a beaucoup de défauts, de sorte que même si les arbres sont programmés pour ne pas germer, ils risquent de germer quand même, de sorte que le risque de contamination se maintient.
Au Brésil comme dans le reste des pays, il faut un grand processus de mobilisation sociale, afin d'éviter à tout prix l'approbation de cette technologie. En plus des risques évidents qu'elle comporterait pour l'environnement, pour la société et pour la santé humaine, la technologie Terminator pourrait condamner les agriculteurs à dépendre absolument des sociétés transnationales, qui contrôleraient la production agricole et sylvicole de nos pays, de sorte que notre agriculture, nos agriculteurs et notre alimentation seraient à la merci de leur volonté et de leurs intérêts économiques.
« Toute la nation en subira les conséquences, parce que c'est la souveraineté alimentaire qui est en jeu. Du moment que cette technologie sera entre les mains de cinq ou six entreprises, des millions de personnes dépendront d'elles et elles feront ce qu'elles voudront. Nous n'avons jamais eu besoin de tout cela ; si nous avons tant avancé c'est parce que notre manière de faire les choses était correcte ». (Un agriculteur familial de Santa Catarina)
Julian Perez-Cassarino (Campahna Terminar Terminator – Brasil) et Larissa Packer (ONG Terra de Direitos)
Les témoignages cités sont extraits de la vidéo “Terminator: sementes transgênicas da morte” (Terminator : les semences transgéniques de la mort). Pour y accéder, veuillez contacter julianperez7@gmail.com .