Le but du présent article est de comprendre comment sont conçus et exécutés les projets REDD+ (Réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts) dans les pays centraméricains, en analysant les patrons et les ressemblances que l’on retrouve dans chaque cas, et le rôle des diverses agences de coopération et organisations non gouvernementales internationales. Des institutions multilatérales comme la Banque mondiale, les agences de coopération des pays du Nord et des ONG internationales sont les principaux défenseurs de REDD+, qu’elles présentent comme un moyen crucial de lutter contre le déboisement et le changement climatique. Cependant, la mise en oeuvre de ce système révèle une réalité différente.
Parmi les pays centraméricains dont les gouvernements ont entrepris de mettre en oeuvre REDD+ en association avec des organismes de coopération, le Guatemala a une place de choix. C’est là qu’on est en train de mettre en oeuvre le projet le plus vaste et le plus cher de toute l’Amérique centrale. L’histoire de REDD+ au Guatemala démarre en 2009, quand le Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale (FCPF d’après l’anglais), affecté à la promotion de ce système, donne au pays 200 000 USD pour la préparation de la proposition nationale REDD+ (R-PP). Ce document est approuvé en 2011 et le FCPF accorde tout de suite après au gouvernement guatémaltèque une nouvelle somme de 3,6 millions USD. À cela viennent s’ajouter 5 millions USD de l’Agence états-unienne pour le développement international (USAID) et 44 millions USD du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). En avril 2014, le gouvernement du Guatemala reçoit encore de l’argent en signant l’accord de coopération technique avec la Banque interaméricaine de développement (BID), laquelle fonctionne comme administratrice du FCPF. La somme que le Guatemala obtient de la BID est de 250 millions USD.
Le Guatemala s’est engagé à réduire de douze millions de tonnes les émissions de CO2 (dioxyde de carbone) ; le projet Guate-Carbón prétend en « absorber » plus de la moitié. Chaque tonne de carbone « absorbé » pourra être vendue à des entreprises ou des pays qui sont en train de polluer à d’autres endroits. Ce projet comprend la zone de forêt continue la plus large de la région, celle de la Réserve de la biosphère Maya, dans le département du Petén. Cependant, au Petén, à côté des projets REDD+, les plantations industrielles de palmiers à huile continuent de s’étendre. (2) Il faut souligner que le Guatemala est un des premiers territoires utilisés comme laboratoire d’expérimentation des projets de compensation pour services environnementaux. En 1998, la société énergétique états-unienne Applied Energy Services (AES) passe un accord avec l’ONG CARE pour investir dans des projets de conservation des forêts de l’Altiplano ; ces projets « compenseraient » les émissions dues à la construction aux États-Unis d’une centrale électrique au charbon minéral, d’une capacité de production de 183 mégawatts. (3)
Parmi d’autres grands projets de ce genre figure le projet REDD+ « Forêts pour la vie ». Situé dans la Sierra del Lacandón, il s’étend sur 202 865 hectares et il est financé par l’Union européenne et par le gouvernement allemand, dans le cadre de l’Initiative internationale pour le climat. Ses promoteurs pensent l’introduire dans le marché volontaire du carbone ou dans d’autres plans de compensation des émissions.
En même temps que ces investissements impressionnants dans REDD+, apparaissent des plaintes concernant l’influence exercée par la famille Archila sur le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles du Guatemala pour le licenciement de la moitié du personnel du Conseil national des aires protégées (CONAP). La famille Archila a de forts investissements dans l’industrie extractive du pays (4), ce qui montre que le véritable intérêt derrière les décisions organisationnelles et politiques en matière de conservation est que celles-ci ne représentent pas un obstacle aux grands projets d’appropriation.
Le Honduras est peut-être l’un des pays où la mise en oeuvre de REDD+ a été la plus lente d’après l’information officielle ; néanmoins, le gouvernement de Porfirio Lobo (héritier du coup d’État de 2009) a déclaré qu’il appuie l’introduction du système, malgré l’opposition des organisations communautaires qui dénoncent l’absence d’une consultation préalable, libre et informée. Rien de nouveau à ce sujet puisque, en 2003-2004, l’État hondurien a approuvé la Loi sur la propriété, avec l’appui de la Banque mondiale. L’Organisation fraternelle noire hondurienne (OFRANEH) a dénoncé que cette loi est nuisible pour les peuples et les territoires indigènes, car elle viole le droit à la consultation stipulé dans la Convention 169 de l’OIT. Cette loi, qui porte atteinte à la propriété collective en promouvant la suppression du régime foncier communautaire, a frayé la voie à l’implantation de REDD+.
Les communautés sont obligées d’inscrire leurs terres en tant que coopératives ou associations privées pour avoir droit aux fonds REDD+. D’après les renseignements fournis par l’Alliance méso-américaine de peuples et de forêts, des titres de propriété ont été délivrés sur 760 000 hectares situés dans le territoire de la Mosquitia hondurienne. Cela représente un processus accéléré de privatisation, favorisé par les incitations perverses du système de compensation.
Dans le cas du Nicaragua, la zone ciblée est celle où se trouvent plus de 67 % des forêts du pays. Située dans les Régions autonomes de la côte caribéenne du nord et du sud (RACCNS), elle est habitée par des Miskitas, des Mayangnas Ulwas, des Ramas, des Garifunas et des Creoles, qui représentent une population de 600 000 personnes et occupent 27 % du territoire nicaraguayen. Le FCPF de la Banque mondiale y a investi 3,6 millions USD pour l’établissement des scénarios des taux d’émission et de référence (quantification des émissions), pour la conception d’une méthode de surveillance des forêts, pour la mise en route d’un système de surveillance, de rapport et de vérification des émissions de CO2, et pour la poursuite des processus de consultation et de l’évaluation environnementale et sociale stratégique. (6) Néanmoins, aucun processus général d’information ou de consultation des populations des forêts de la RACCNS n’a été constaté.
Au Costa Rica, l’introduction de REDD+ a été dirigée par Fonafifo (organisme chargé de la gestion du système de paiement pour services environnementaux) et financée par la coopération allemande (GIZ), le programme REDD des Nations unies (ONU-REDD), le fonds de coopération norvégien (NORAD) et surtout par le FCPF de la Banque mondiale. D’autre part, il existe un plan national de consultation indigène pour lequel le Costa Rica a reçu 1,1 millions USD. Au total, les fonds alloués à la stratégie REDD+ au Costa Rica sont estimés à 12 millions et demi de dollars.
Pourtant, la mise en oeuvre a été particulièrement polémique du fait que la consultation préalable, libre et informée que prévoit la Convention 169 de l’OIT n’a pas eu lieu, ce qui représente une violation des droits des peuples indigènes. Les organisations indigènes ont insisté à maintes reprises sur le besoin d’un dialogue réel au sujet de la mise en oeuvre de REDD+ dans leurs territoires. En octobre 2015, près de 400 personnes se sont rendues à la maison présidentielle pour manifester leur refus de REDD+. Malheureusement, leur demande d’une consultation transparente n’a pas été acceptée. En février 2016, le gouvernement a estimé finie l’étape de pré-consultation des peuples indigènes et affirmé que le plan de consultation avait été complété à 95 %. En réponse, un groupe d’environ 400 personnes s’est présenté le 1er juillet dans l’Association pour le développement du territoire indigène Bribri (ADITIBRI), à Suretka, pour remettre en public la Déclaration du territoire bribri de Talamanca sans REDD+. (7)
À El Salvador, le projet stratégique national pour REDD+ dit que la priorité est l’augmentation des réserves forestières de carbone, surtout par la transformation des méthodes agricoles de subsistance. De même, il propose de réduire les émissions des écosystèmes forestiers qui existent dans le pays (des mangroves, d’autres écosystèmes naturels et des systèmes agro-forestiers tels que les plantations de café d’ombre) par la mise en oeuvre de projets REDD+.
Il reçoit des fonds du FCPF, que la Banque mondiale est chargée de gérer. Le Comité du changement climatique du Système national de gestion de l’environnement (SINAMA), constitué en 2012, joue le rôle de directeur de la stratégie REDD+. Le document qui contient la Préparation de la Proposition nationale REDD+ (R-PP) du pays est rédigé la même année.
Or, les doutes et le mécontentement ne tardent pas à se manifester. En mai 2012, une lettre adressée à Benoît Bosquet, coordinateur du FCPF de la Banque mondiale, et signée par 23 organisations et communautés indigènes du Conseil de la Coordination nationale indigène salvadorienne, rejette le R-PP qui a été envoyé par le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles. La lettre affirme que ce rejet est dû au fait « que dans sa formulation ne figurent pas et ne sont pas pris en compte les besoins et les inquiétudes des peuples indigènes d’El Salvador au sujet du changement climatique et de l’adaptation à ses effets, et que la consultation préalable, libre et informée de ces peuples, prévue par le droit indigène international, n’a pas eu lieu ». (8)
Finalement, au Panama la situation des droits des peuples indigènes n’est pas très différente de celle du reste de la région. De graves plaintes au sujet du droit à l’information concernant la mise en oeuvre de REDD+ ont été portées par le Conseil national des peuples indigènes du Panama (COONAPIP) dès 2008, date à laquelle auraient commencé les soi-disant ateliers de consultation. Cette organisation propose une stratégie pour aborder la question de REDD+.
En 2010, l’ONU-REDD débourse 5,3 millions USD pour la formulation de la Stratégie nationale sous la supervision de la Commission centraméricaine de l’environnement et du développement (CCAD), et avec le soutien de l’Agence de coopération allemande (GIZ) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Le Congrès national kuna (l’autorité maximale du peuple de Kuna-Yala) rejette en 2013 le processus de mise en oeuvre de REDD parce que, s’étant déroulé avec peu d’information et de transparence, il a violé la Convention 169 de l’OIT. (9) En 2013 également, la Coordination nationale des peuples indigènes du Panama (COONAPIP) quitte elle aussi les négociations sur REDD+ parce que le projet n’a pas respecté le droit au consentement préalable, libre et informé. La Coordination a porté plainte auprès de l’ONU mais elle a accepté plus tard de renouer le dialogue. (10)
REDD+ : davantage de violence contre les forêts, les territoires et les communautés
Après avoir passé en revue quelques renseignements sur les expériences de chaque pays au sujet de REDD, nous avons trouvé les similarités suivantes :
– 44 % des forêts centraméricaines sont dans des régions habités et utilisées par les peuples indigènes. (11) De là vient l’intérêt de mettre en oeuvre les projets REDD+ dans ces territoires.
– À ce jour, aucun pays n’a entrepris de consulter les communautés de façon complète et transparente. On n’a pas pris les mesures nécessaires pour informer et consulter les peuples indigènes de la région sur la mise en oeuvre de REDD+. Les conflits et les plaintes concernant l’absence de dialogue et de représentation, et la corruption, pendant la formulation et la mise en oeuvre des projets REDD+, ont été évidents à des degrés divers.
– La démarche et les sources de financement sont semblables. Le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) de la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque mondiale (BM), les ONG Rainforest Alliance, The Nature Conservancy (TNC) et World Wildlife Fund (WWF), les fonds de coopération de certains pays du Nord, tels que le fonds allemand (GIZ), sont des noms que l’on retrouve dans les pays de la région à ce sujet. Il faut souligner que certains d’entre eux sont associés à des projets qui ont été dénoncés pour avoir violé le droit à la consultation de la Convention 169 de l’OIT et pour avoir encouragé des activités d’une légitimité douteuse ou inconnues des collectifs communautaires et des organisations locales.
– Les projets REDD+ accroissent la privatisation des forêts et des territoires, car ils stipulent que les forêts n’ont de valeur que pour leur capacité de piéger du carbone, et que des acteurs privés ou extérieurs peuvent se l’approprier. Le système REDD+ implique que les forêts soient gérées et restent inchangées en application de critères conservationnistes ; par conséquent, les communautés qui dépendent de la forêt ne peuvent pas se servir de ses éléments pour leurs usages traditionnels et elles perdent le contrôle de leurs territoires.
– Finalement, ce système ne combat pas les causes principales de la crise climatique : la consommation de combustibles fossiles, le système de production et de consommation qui, dans les pays centraméricains, se traduit par des plantations industrielles (de palmiers à huile, de canne à sucre, d’ananas) et par d’autres mégaprojets d’extraction qui sont en train de causer de graves problèmes dans la région.
Le fait de ne pas s’attaquer au système de production basé sur l’extraction en tant que l’une des causes principales du changement climatique a permis que les industries extractives (minière, forestière, pétrolière, énergétique et agro-industrielle) continuent de croître en semant la violence et la douleur dans la région centraméricaine. Nos pays sont considérés comme l’une des régions les plus dangereuses pour la population qui défend son territoire. D’après l’ONG Global Witness, un activiste qui lutte contre ce système y est assassiné toutes les 48 heures. En 2015, 12 personnes ont été tuées au Nicaragua, 10 au Guatemala et 8 au Honduras. Le système REDD+ fait croître la violence contre la propriété collective de la terre et des forêts des communautés centraméricaines, contre le droit à la consultation et contre la libre détermination des peuples.
Derrière ces formes d’expansion, nous avons trouvé aussi que, dans tous ces pays, les communautés s’organisent et résistent à la privatisation de la terre et à la réglementation de leurs systèmes traditionnels, et qu’elles mettent leurs méthodes de prendre soin de leur territoire, et même leurs corps, au service de la protection des forêts et des collectivités.
Henry Picado, Red de Coordinación en Biodiversidad, agrobici@gmail.com
Zuiri Méndez, Kioscos Ambientales, zuirizuiri@gmail.com
Mariana Porras, Coecoceiba Amigos de La Tierra, mariana@coecoceiba.org
(1) Le FCPF est un fonds pour le climat créé grâce aux donations de 15 pays et géré par la Banque mondiale, qui finance les activités de préparation et les paiements à la performance du système REDD+. Le FCPF appuie, dans les pays des régions tropicales et subtropicales, l’adoption de systèmes et de politiques appropriées à l’implantation de REDD+ (comme l’adaptation de la législation forestière et foncière aux marchés du carbone et à d’autres marchés associés), et il leur paie des sommes calculées en fonction des résultats pour la compensation d’émissions. Le FCPF a commencé à fonctionner en 2008 et il sert de complément aux négociations sur REDD+ dans la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), en essayant de démontrer comment le système pourrait être appliqué dans chaque pays.
(2) El Programa REDD+ en Guatemala genera diversidad de opiniones y resultados, Mongabay, mars 2016, https://es.mongabay.com/2016/03/el-programa-redd-en-guatemala-genera-diversidad-de-opiniones-y-resultados/.
(3) Id.
(4) Centro de Medios Independientes (2016). La familia Archila detrás de los despidos de Conap. https://cmiguate.org/la-familia-archila-detras-de-los-despidos-de-conap/.
(5)PRISMA (2014). Mesoamérica a la delantera de los derechos comunitarios: Lecciones para hacer que REDD+ funcione. http://alianzamesoamericana.org/wp-content/uploads/2014/03/mesoamerica_a_la_delantera_en_derechos_forestales_comunitarios.pdfhttp://www.prisma.org.sv/uploads/media/Mesoamerica_Derechos_Forestales_y_REDD_.pdf.
(6) PRISMA (2015). REDD+ Jurisdiccional en Centroamérica: Oportunidades e implicaciones para pueblos indígenas y comunidades forestales, http://www.prisma.org.sv/uploads/media/REDD_jurisdiccional_CA_.pdf
(7) Les Bribris, un peuple jamais conquis qui fait front au système REDD. Bulletin 221 du WRM, février 2016, http://wrm.org.uy/fr/les-articles-du-bulletin-wrm/section1/les-bribris-un-peuple-jamais-conquis-qui-fait-front-au-systeme-redd/ ; Bosques para las comunidades no para el mercado. Miradas críticas sobre REDD, http://wrm.org.uy/es/otra-informacion-relevante/video-bosques-para-las-comunidades-no-para-el-mercado-miradas-criticas-sobre-redd/
(8) Civil society in El Salvador demands more than REDD+ from climate change negotiations, http://www.redd-monitor.org/2013/10/15/civil-society-in-el-salvador-demands-more-than-redd-from-climate-change-negotiations/
(9) Panamá: ONU REDD viola principios de la propia Declaración sobre Derechos de los PP.II. https://www.servindi.org/actualidad/88872
(10) Panama’s efforts to gain funding for standing forests roiled by indigenous opposition, https://news.mongabay.com/2014/09/redd-versus-indigenous-people-why-a-tribe-in-panama-rejected-pay-for-their-carbon-rich-forests/
(11) Nuevo mapa muestra cómo los pueblos indígenas de Centroamérica ocupan y resguardan gran cantidad de bosques, ríos y aguas costeras. https://www.iucn.org/es/content/nuevo-mapa-muestra-c%C3%B3mo-los-pueblos-ind%C3%ADgenas-de-centroam%C3%A9rica-ocupan-y-resguardan-gran