Au cours de la dernière décennie, les institutions financières et les banques d'investissement ont déboursé plus de 40 milliards de dollars pour de nouvelles opérations du secteur de la pâte dans le Sud. Les analystes prévoient que 54 milliards supplémentaires iront financer des usines de pâte dans le Sud d'ici à 2015, et que la plupart seront au Brésil, en Uruguay, en Chine, dans la région du Mékong et dans les pays baltes.
Compte tenu du volume d'argent impliqué, on pourrait supposer que les banques procèderaient à des analyses minutieuses avant d'investir. Pourtant, il n'en est pas ainsi, d'après un nouveau rapport publié par le Centre pour la Recherche forestière internationale (CIFOR). ["Financing Pulp Mills: An Appraisal of Risk Assessment and Safeguard Procedures", http://www.wrm.org.uy/plantations/FinancingPulpMills.pdf ]. Ce rapport affirme que l'insuffisance des recherches sur les projets proposés « risque de provoquer une nouvelle vague de projets imprudents qui auraient des conséquences catastrophiques pour les investisseurs, pour les populations tributaires des forêts et pour l'environnement ».
La crise financière d'Asia Pulp and Paper et de ses filiales, en cessation de paiement de ses créditeurs pour 14 milliards de dollars, a affecté les institutions financières du monde entier, mais, comme l'a signalé Chris Barr, membre de CIFOR, au Financial Times, « le secteur financier n'a pas fait suffisamment attention aux leçons qu'il y avait à tirer de la faillite d'APP ».
Le rapport du CIFOR, "Financing Pulp Mills: An Appraisal of Risk Assessment and Safeguard Procedures", s'appuie sur huit années de recherches sur le financement de 67 usines de pâte. Son auteur, Machteld Spek, est un analyste financier qui a plus de 20 années d'expérience.
Spek remarque que l'importance de l'approvisionnement en matière première est souvent sous-estimée au moment de financer les usines de pâte ou dans les rapports des analystes sur les entreprises concernées, malgré le fait que cet approvisionnement représente un fort pourcentage des coûts de production. Lorsque les quatre principaux producteurs de pâte de l'Indonésie ont commencé leurs opérations dans les années 1980 et 1990, ils ont tous annoncé qu'au bout de huit ans ils obtiendraient toute leur matière première de leurs propres plantations. Mais aujourd'hui, l'industrie indonésienne de la pâte « dépend encore du bois des forêts naturelles pour 70 pour cent de leurs besoins de fibre », signale le rapport. Néanmoins, ce manque de matière première n'a pas affecté la capacité des entreprises d'obtenir du financement.
Le rapport de Spek constate que « la plupart des institutions financières et des ECA n'ont toujours pas la capacité d'analyser par elles-mêmes les incidences sociales et environnementales qu'un projet risque d'avoir ». Elles dépendent des informations que leur fournissent les entreprises et les agences multilatérales comme la Société financière internationale de la Banque mondiale (SFI).
La SFI a accordé des prêts à toute une série de projets de pâte nuisibles à l'environnement et à la société, dont Arauco au Chili, Aracruz au Brésil et Advance Agro en Thaïlande. À l'heure actuelle, la SFI considère la possibilité de financer de grandes usines de pâte en Uruguay.
Bien entendu, la SFI déclare qu'elle ne finance aucun projet sans avoir fait évaluer ses incidences environnementales et sociales, mais le rapport de Spek explique pourquoi cela ne suffit pas : « Un défaut structurel dans l'application des politiques de sauvegarde est qu'elles sont orientées par des évaluations environnementales généralement commanditées par les sponsors du projet. Les évaluations environnementales actuelles sont souvent d'une qualité médiocre, qui passe inaperçue parce qu'elles ne sont pas vérifiées par des parties informées. »
Lorsque le conseil de la SFI a convenu de prêter à Aracruz 50 millions USD en novembre 2004, les études environnementales et sociales de la Banque ne l'ont pas prévenu du litige foncier qui existait entre l'entreprise et les peuples indigènes tupinikim et guarani de la province d'Espírito Santo. En mai 2005, six mois après l'approbation du prêt, les Tupinikim et les Guarani ont réclamé à Aracruz un peu plus de 11 000 hectares de leurs terres et ils y ont bâti deux villages. En janvier 2006, Aracruz a été impliquée dans une action policière violente destinée à expulser les habitants de ces villages, qui ont été démolis en utilisant les machines de l'entreprise.
Peu après, la SFI a publié une déclaration suivant laquelle Aracruz avait « décidé de payer d'avance le prêt de la SFI » et que, de ce fait, « la SFI n'avait plus aucun rapport avec ce client ». Les responsables d'Aracruz ont dû sentir que le prêt de la SFI risquait d'attirer trop d'attention sur l'entreprise. Pourtant, les analyses et les sauvegardes de la SFI auraient dû empêcher dès le départ l'existence de ce prêt.
En Uruguay, la société espagnole ENCE et le groupe finnois Botnia prévoient, chacun de son côté, de construire deux usines de pâte dont la capacité totale de production est de 1,5 million de tonnes par an. La SFI considère la possibilité de prêter aux deux projets un total de 400 millions USD. Si elle le fait, plusieurs banques commerciales et agences de crédit à l'exportation viendront à sa suite.
Le rapport du CIFOR signale que l'évaluation d'impact environnemental présentée par Botnia au moment de demander le prêt de la SFI ne tient pas suffisamment compte des problèmes concernant la matière première, l'usage de la terre et l'infrastructure. Grâce aux fortes protestations soulevées en Uruguay comme en Argentine, les documents du projet ont été analysés avec plus de soin que d'habitude, et la SFI vient de mettre en place un plan d'action qui est censé s'attaquer aux points faibles des études préalables.
« Le conflit à propos des usines de pâte uruguayennes a mis au premier plan d'importantes questions environnementales et sociales », a commenté le directeur général du CIFOR, David Kaimowitz. « Pourtant, une question-clé dont on ne s'est pas du tout occupé est de savoir si les usines de pâte auront suffisamment de bois. En l'absence d'un approvisionnement en bois qui soit sûr et durable les risques financiers deviennent énormes. »
Chris Lang, adresse électronique : chrislang@t-online.de , www.chrislang.blogspot.com