Liberia : évaluation du processus de réforme du secteur forestier

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Comme signalé dans des numéros précédents du bulletin du WRM, les forêts du Liberia ont longtemps été exploitées pour attiser les conflits dans ce petit pays de l’Afrique occidentale. Le Liberia possède les deux derniers blocs de la forêt de la haute Guinée, qui héberge plus de 2 000 plantes à fleurs, dont 240 espèces d’arbres ; sur ces dernières, 60 ont été exploitées commercialement.

Depuis les années 1990, les forêts du Liberia ont été pillées par les rebelles et par des entreprises forestières suspectes, et même utilisées par l’ancien président pour financer la guerre, non seulement au Liberia mais aussi en Côte d’Ivoire et en Sierra Leone. Reconnaissant le rôle joué par le bois dans la guerre civile libérienne, le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé des sanctions à ce produit en décembre 2003 et en décembre 2004. Après avoir évalué les progrès accomplis par le Gouvernement national de transition du Liberia (GNTL) dans le sens d’une réforme du secteur forestier, le Conseil de sécurité a reconduit les sanctions pour une année supplémentaire et cette décision a été maintenue lors de l’évaluation de mi-parcours effectuée en juin 2005.

Dans un rapport récent, le Groupe d’experts travaillant pour le Conseil de sécurité signale que la corruption est généralisée au sein du GNTL. Des informations recueillies à la base brossent un tableau où les suspects habituels se hâtent de saisir toutes les richesses possibles avant les prochaines élections gouvernementales, qui auront lieu en octobre 2005. Le Groupe d’experts signale que le GNTL n’a pas fait grand-chose pour respecter les critères définis en février 2004, au cours de la conférence internationale de l’ONU sur la reconstruction du pays. Parmi ces critères figurent ceux qu’il faut appliquer pour la levée des sanctions sur le bois.

La Coalition d’organisations non gouvernementales du Liberia vient d’affirmer, dans une lettre adressée au Conseil de sécurité, que le GNTL « n’a pratiquement rien fait pour rétablir son autorité sur les principaux domaines de production de ressources naturelles ». Environ 4 000 personnes habitent en ce moment à l’intérieur du parc national Sapo, l’une des deux aires protégées du pays. De nombreuses personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ont cherché refuge dans la forêt, tandis que beaucoup d’anciens rebelles ont installé des campements miniers illégaux dans le parc. Avec ces campements viennent s’établir de petites communautés qui ouvrent des « commerces » pour gagner un peu d’argent pour vivre. Le plus souvent, ces villages temporaires font augmenter la demande de viande de brousse, détériorant ainsi davantage un écosystème déjà fragile. Les personnes déplacées se plaignent de l’injustice dont elles ont été victimes, voyant que les anciens rebelles, qui ont assassiné et violé leurs voisins, reçoivent 300 $ pour poser les armes et bénéficient d’un enseignement gratuit, tandis que leurs victimes ne reçoivent rien.

La coalition d’ONG affirme aussi que certains membres de la MINUL (Mission des Nations unies pour le Liberia) qui est censée « aider le gouvernement national de transition du Liberia à rétablir son autorité sur l’ensemble du pays... et à rétablir la véritable administration des ressources naturelles », non seulement n’ont pas été à la hauteur de leur mission mais semblent même avoir agi en coopération avec des trafiquants de bois extrait illégalement. À titre d’exemple, le sciage de long est interdit par la FDA depuis 2000, mais il continue d’exister en vertu d’autorisations d’origine douteuse ; le Directeur exécutif de la FDA affirme que sa signature au pied des permis délivrés en 2003 et 2004 est un faux. Le Groupe d’experts, en collaboration avec les ONG locales, a rapporté que des camions chargés de bois scié passaient les points de contrôle, tard dans la nuit, avec la connivence de certains personnels du MINUL. Il a été affirmé de même que des membres du MINUL avaient été impliqués dans le commerce d’or et de diamants provenant de mines illégales.

La bonne nouvelle est qu’une évaluation récente du système de concessions forestières du Liberia a conclu qu’il fallait faire table rase et révoquer tous les contrats de concession existants. D’après la coalition d’ONG, le comité d’évaluation a dû surmonter des obstacles formidables pour mener son enquête en appliquant les critères les plus rigoureux et pour remettre ses conclusions dans les délais prévus. Ces conclusions doivent maintenant être considérées et adressées au président Bryant pour approbation. Beaucoup de concessions avaient été octroyées par l’ancien président Taylor sans tenir aucun compte de la législation forestière nationale.

Il s’agit certainement d’une bonne nouvelle pour ceux qui travaillent à la réforme forestière du Liberia, mais il reste beaucoup à faire avant de commencer à ébaucher un nouveau système de concessions. Une étude écologique effectuée en 1978 recommandait de protéger les parcs nationaux Lofa-Mano, Sapo et Cestos-Senkwehn, et les réserves naturelles de Nimba, du mont Wonegizi, de Cape Mount, de la Forêt littorale et de Cavally. Un seul d’entre eux a bénéficié de protection à l’époque, et un autre s’y est ajouté après le cessez-le-feu, grâce aux pressions exercées sur le gouvernement de transition. Il est indispensable d’évaluer les forêts du Liberia, pour mieux connaître l’état des écosystèmes et la situation des personnes qui en sont tributaires, avant de mettre en place n’importe quel plan d’aménagement forestier.

La Banque mondiale et le FMI ont participé activement au processus de reconstruction du Liberia. Cependant, le Liberia a un arriéré de plus de 3 milliards de dollars, ce qui l’empêche de recevoir de nouveaux prêts de la Banque. En mai 2005, le FMI a publié un rapport où il souligne que le Liberia a un besoin urgent d’aide extérieure et d’investissements privés, mais que toute nouvelle assistance sera conditionnée aux mesures que le pays prendra pour renforcer les institutions, réduire la corruption et améliorer la gouvernance. Le FMI note que l’économie du Liberia a connu une croissance de 122 % pendant les deux années suivant le traité de paix et que, dans la même période, l’exploitation forestière a étonnamment augmenté de 1 300 %. Le Document de réengagement approuvé par la Banque mondiale pour le pays signale que depuis 1977, le secteur forestier a attiré beaucoup d’investissements étrangers directs et que l’exploitation forestière a été la principale source de devises étrangères. La stratégie de réengagement proposée identifie en outre les facteurs principaux de la récupération du pays : la gestion de l’économie, la réhabilitation de l’infrastructure de gestion des forêts et le développement communautaire. La Banque affirme également qu’elle a une expérience considérable dans ces domaines, recueillie dans d’autres contextes d’après-guerre. Cette affirmation montre que la Banque mondiale s’intéresse beaucoup aux forêts libériennes et donne l’alerte à ceux qui travaillent à la réforme du secteur forestier : il est indispensable que la Banque n’applique pas au Liberia les mêmes politiques qu’elle a utilisées dans d’autres pays africains car, visant à soutenir les intérêts des entreprises, elles ont aggravé la situation des communautés tributaires des forêts.

Comme le signalent la Coalition d’ONG et le Groupe d’experts, le GNTL a très peu avancé vers le rétablissement de l’administration des ressources naturelles, et les affaires continuent comme avant. Le Groupe d’experts a suggéré qu’il conviendrait, avant la levée des sanctions, d’engager une organisation privée d’experts en gestion pour la mise en place des réformes du secteur forestier ébauchées par le GNTL et le Conseil de sécurité. On ne sait pas si cette recommandation sera appliquée ni quels seront les prochains pas. Bien entendu, la société civile en est profondément inquiète, et des débats ont été entamés pour déterminer quelle est la meilleure attitude à prendre. La situation est pour le moins difficile. Si cette recommandation est adoptée, il sera indispensable que la sélection de l’organisation privée en question soit absolument transparente et que la société civile et les communautés locales participent à toutes les étapes de ce processus.

Le Liberia n’est pas le seul pays à avoir utilisé ses ressources naturelles pour attiser la guerre, mais il est dans une position de choix pour assurer une protection appropriée de ce point chaud de la biodiversité et pour créer un plan de gestion des forêts vraiment durable, en faisant participer les communautés à toutes les étapes de la reconstruction de ce pays dévasté. Espérons que le Conseil de sécurité de l’ONU et la communauté internationale fourniront le cadre nécessaire à cette occasion unique.

Michelle Medeiros, Friends of the Earth USA, adresse électronique : MMedeiros@foe.org