Indonésie: un rapport du WWF lie la déforestation généralisée aux plantations de palmier à huile

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L'Indonésie figure parmi les pays au taux de déforestation le plus élevé du monde. La moyenne enregistrée du défrichement annuel a atteint un million d'hectares dans les années 80, 1,7 millions d'hectares dans la première moitié des années 90, et se situe à l'heure actuelle entre 2,0 et 2,4 millions d'hectares, d'après les statistiques du Ministère de l'environnement.

Comme nous l'avions déjà dénoncé (cf. Bulletin Nº 56 du WRM), les politiques mondiales promues par le Nord et imposées par les organismes multilatéraux (le Fonds monétaire international et la Banque mondiale) dans les années 80, jointes au poids d'une dette extérieure considérable, ont provoqué une montée subite des exportations basées sur les ressources naturelles, dont l'huile que l'on obtient du palmier à huile cultivé sous le régime de monoculture à grande échelle. La culture du palmier à huile s'est avérée lucrative pour les investisseurs en Indonésie, car le coût de la main d'œuvre et le prix de la terre y sont souvent bas, les crédits sont faciles à obtenir et les conditions du climat et du sol sont favorables.

La demande mondiale d'huile de palmier est insatiable. Il a été pronostiqué que le chiffre actuel de 22,5 millions de tonnes par an montera à 40 millions de tonnes en 2020. L'Inde, la Chine, les Pays-Bas et l'Allemagne sont les principaux importateurs d'huile de palmier crue, le dérivé primaire du fruit du palmier, qui est utilisé dans l'élaboration de toute une gamme de produits alimentaires et non alimentaires. La filière commerciale mondiale dispose de fonds apportés par les institutions financières étrangères de l'Europe, des Etats-Unis et de l'Asie orientale. Les îles de Sumatra et Kalimantan et la Papouasie occidentale sont les principaux sièges des opérations de grands conglomérats tels que le Groupe Salim, le Groupe Raja Garuda Mas et le Groupe Sinar Mas, les mêmes qui contrôlent les activités d'extraction et de manufacture du bois et les industries de la pâte et du papier.

Toutes ces affaires ont été montées au détriment des anciennes forêts dans les basses terres de l'Indonésie, et aux dépens des moyens de vie des populations rurales. Dans un rapport récent du WWF, publié en décembre 2002, au sujet des plantations de palmier à huile et de la déforestation en Indonésie ("Oil Palm Plantations and Deforestation in Indonesia"), on peut lire: "En Indonésie, il avait été approuvé que quelque sept millions d'hectares de forêts soient convertis à l'agriculture pour la fin 1997, et il est presque certain que toutes ces terres ont été défrichées. Mais la superficie convertie à la plantation de palmier à huile depuis 1985 est d'environ 2,6 millions d'hectares", dont la production est destinée à l'exportation d'huile de palmier. "Une des modifications introduites en 1998 à la législation concernant le secteur de l'huile de palmier permet aux compagnies forestières d'affecter 30 pour cent de leurs concessions à des cultures agricoles telles que le palmier à huile". Ce qui est inquiétant, c'est que ces concessions sont, le plus souvent, dans des zones de futaie permanente.

Les grandes compagnies productrices d'huile de palmier ont envahi des terres domaniales sans avoir consulté ou indemnisé de manière appropriée les millions de personnes qui vivent dans la forêt ou en dépendent pour leur subsistance. Le problème des droits fonciers a été au cœur du conflit. Suivant le rapport du WWF, "le développement des plantations de palmier à huile reste une des causes majeures de conflits à propos de la terre et des ressources. Un des impacts de cette expansion sur la société est l'appropriation de grandes surfaces de terres utilisées par des communautés paysannes et indigènes qui, dans la plupart des pays tropicaux, n'ont jamais été les propriétaires des terres qu'ils ont traditionnellement occupées. Dans des secteurs en plein boom tels que celui de l'huile de palme, les sociétés de plantation ont reçu des terres en concession ou même en propriété, ainsi que l'aide du gouvernement pour réprimer l'opposition éventuelle des communautés locales".

Pour boucler le circuit, des plantations de palmier à grande échelle ont été à l'origine des incendies forestiers qui ravagent l'Indonésie depuis 1997. Toujours d'après le rapport, "En septembre 2002, l'information satellitaire a révélé que plus de 75 pour cent des foyers détectés au Kalimantan central et oriental au cours du mois d'août se trouvaient dans des plantations de palmiers à huile et de bois d'œuvre, et dans des concessions forestières. Ceci indique que le patron qui était devenu évident dans les années précédentes se répète en 2002: les compagnies forestières et agricoles défrichent leurs concessions en mettant le feu aux forêts naturelles, après en avoir extrait tout le bois de valeur et laissé des déchets facilement combustibles".

Un projet bilatéral conduit par l'Indonésie et l'Union européenne (le Projet de prévention et contrôle des incendies forestiers) "a conclu que la principale solution permanente au problème des incendies en Indonésie consiste dans une planification beaucoup plus poussée de l'utilisation de la terre au niveau local, et dans le renforcement de la gestion locale, cette dernière incluant la prévention des incendies. Le projet a trouvé que l'approche villageoise de la gestion des ressources naturelles varie d'un endroit à l'autre, mais qu'elle va généralement dans le sens de 'l'utilisation rationnelle'."

La conclusion ci-dessus n'est pas nouvelle, et cela fait des années que des organisations indonésiennes insistent sur le besoin de rendre aux communautés le contrôle des forêts pour assurer autant leur conservation que les moyens de vie des habitants. Ce qui est nouveau, c'est la reconnaissance officielle que les approches villageoises de la gestion des ressources naturelles vont dans le sens de l'utilisation rationnelle. Voilà au moins un pas dans la bonne direction. Cependant, un certain nombre de questions restent posées. Le gouvernement est-il prêt à changer de cap et à fortifier la gestion locale des ressources, aux dépens des sociétés nationales et transnationales qui opèrent dans le secteur de l'huile de palmier? Est-ce que le FMI et la Banque mondiale vont appuyer cette nouvelle approche, qui supposerait d'arrêter l'expansion future de la production -et de l'exportation- d'huile de palmier? Les intérêts de la population et des forêts vont-ils prévaloir sur les profits des sociétés et sur les politiques macro-économiques orientées à l'exportation?

Article basé sur des informations contenues dans "Oil Palm Plantations and Deforestation in Indonesia. What Role do Europe and Germany Play?", WWF, http://www.panda.org/downloads/forests/oilpalmindonesia.pdf