La nouvelle tendance des plantations de biomasse au Brésil : la monoculture d'arbres

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Un nouveau cycle d'expansion : les plantations de carbone et de biomasse

Dans le contexte des efforts que fait le Brésil pour devenir une puissance économique mondiale, le secrétaire des Affaires stratégiques du nouveau gouvernement présidé par Dilma Rousseff a présenté un rapport auquel les médias ont eu accès en mars de cette année. Le rapport annonçait que la nouvelle politique gouvernementale consistait à plus que doubler la superficie des plantations d'arbres brésiliennes pour les porter à 15 millions d'hectares, ce qui ferait passer la part du marché du pays de 7 à 25 milliards USD. Tandis que le premier cycle d'expansion visait surtout la production de pâte et de papier, cette fois le gouvernement souhaite élargir les plantations à d'autres fins. Le problème est que, pour y parvenir, il faut des milliards en subsides, plus que ce que le gouvernement est disposé à apporter.

À cet égard, la crise climatique offre aux entreprises et au gouvernement la possibilité d'obtenir de nouveaux subsides en présentant le problème sous un angle différent, celui des plantations de carbone « renouvelables », dont les avantages pour le climat sont pourtant douteux. Par exemple, la compagnie Plantar de l'État de Minas Gerais a été l'une des premières à offrir des crédits d'émission grâce à un projet MDP (Mécanisme de développement propre) basé sur des plantations renouvelables d'eucalyptus qui, ironiquement, sont destinés à être brûlés, rendant ainsi à l'atmosphère tout le CO2 qu'ils avaient stocké. Le charbon ainsi produit est la source d'énergie de la fonderie de Plantar.

De la même manière, des entreprises comme Fibria et Suzano Papel e Celulose entendent vendre des crédits d'émission grâce au carbone stocké dans leurs plantations, par l'intermédiaire du Chicago Climate Exchange (CCX), un système d'échange de crédits d'émission créé en 2003. Cette fois encore, cela concerne des réserves temporaires de carbone, alors que ce qu'il faut pour lutter contre la crise climatique ce sont des stocks permanents. Le gouvernement brésilien a essayé également d'obtenir des subsides en faisant adopter par la CCNUCC un nouveau concept, celui de « forêt en voie d'épuisement ». Ainsi, les vieilles plantations d'arbres recevraient de l'argent du marché du carbone pour qu'elles puissent être replantées.

Un des derniers développements est le projet de la Suzano Papel e Celulose de faire de grandes plantations d'eucalyptus en régime de monoculture pour produire de la biomasse de bois dans le Nord-Est du Brésil. Suzano est une entreprise privée qui existe depuis 85 ans, et le deuxième producteur de pâte d'eucalyptus du monde. Elle possède cinq usines de pâte à papier au Brésil, situées dans les États de São Paulo et de Bahia, qui ont produit 2,7 millions de tonnes de pâte en 2008. Aujourd'hui, elle contrôle 722 000 hectares où se trouvent 324 000 hectares de plantations d'eucalyptus, dans les États de Bahia, São Paulo, Espírito Santo, Minas Gérais, Tocantins et Maranhão. L'entreprise a le projet ambitieux de porter sa production à 7,2 millions de tonnes en construisant trois nouveaux complexes industriels : un dans chacun des États de Maranhão et de Piauí (Nord-Est du pays), et un troisième à un endroit encore non défini.

Les plantations de biomasse de Suzano

Suzano a d'autres plans encore plus ambitieux : elle veut investir dans un nouveau type de plantations, les plantations de biomasse. Pour y parvenir, le Groupe Suzano a créé, vers le milieu de l'année 2010, un nouvelle entreprise dénommée Suzano Energia Renovável (Suzano Énergie Renouvelable). L'investissement prévu est de 1,3 milliards USD, et comprend cinq unités de production de granulés de bois d'une capacité totale de 5 millions de tonnes de ce combustible. La première étape consiste à acquérir des terres et à construire trois de ces unités, qui produiront 1 million de tonnes chacune, et qui commenceraient à fonctionner en 2013. Suzano escompte des recettes liquides de 500 millions USD en 2014, et a déjà garanti des contrats de vente pour 2,7 millions de tonnes. En août 2010, un « protocole d'accord » sans force obligatoire a été signé par Suzano et l'entreprise britannique MGT Power Ltd.

Ni l'emplacement exact des plantations dans le Nord-Est du Brésil ni le nombre d'hectares nécessaire n'ont été divulgués. Néanmoins, des plantations d'essai d'eucalyptus et d'acacias ont été faites en 2009 dans le Piauí et dans le Maranhão. Le directeur de l'entreprise, André Dorf, a déclaré en 2010 : « les terres ont déjà été prospectées et le processus d'acquisition doit avoir lieu cette année » ; il a affirmé aussi que le Nord-Est est leur région préférée « [...] à cause de la proximité de ports importants, ce qui facilite l'écoulement de la production, puisque nous entendons approvisionner le continent européen ».

Les plantations pour la production de biomasse sont très différentes des plantations pour la production de pâte à papier. Leur cycle de rotation est de deux ou trois ans, au lieu des sept ans habituels, et les arbres sont plantés plus près les uns des autres. Pour la production de pâte à papier, il faut que les arbres contiennent un maximum de cellulose et un minimum de lignine ; en revanche, les arbres pour la production d'énergie doivent avoir un maximum de lignine. D'après le directeur André Dorf, il faut environ 30 000 hectares pour produire un million de tonnes de granulés de bois. Puisque l'objectif de Suzano est de produire 5 millions de tonnes de granulés de bois, il lui faudra planter 150 000 hectares.

Les acquisitions de terres que Suzano est en train de faire dans le Nord-Est du Brésil pour la production de pâte à papier ont déjà provoqué des problèmes. Dans cette région, les communautés quilombolas luttent toujours pour que soient reconnus leurs droits sur leurs territoires traditionnels. Inaldo Serejo, coordinateur de la Commission pastorale des terres (CPT) de Maranhão, a affirmé au cours d'une interview que « il y a un mouvement d'expansion au Maranhão ; par exemple, des compagnies comme Suzano Papel e Celulose ont acheté d'immenses étendues de terres, occupées par des communautés traditionnelles, pour y planter des eucalyptus ». On peut donc s'attendre à ce que les problèmes augmentent avec l'avancée des nouvelles plantations de biomasse.

La résistance à la monoculture de biomasse au Brésil

Le Mouvement des petits agriculteurs (MPA), un des principaux mouvements de paysans du Nord-Est brésilien, et les membres de La Vía Campesina Brésil luttent depuis des années contre l'expansion de la monoculture d'arbres au Brésil, en organisant des manifestations et d'autres actions de protestation. Raul Krauser, membre de la coordination nationale du MPA, explique les raisons de cette résistance : « La monoculture d'eucalyptus a déjà eu toute une liste d'effets négatifs sur les vies des paysans : l'acquisition de grandes fermes improductives qui devraient être destinées à la réforme agraire ; la hausse du prix de la terre dans toute la région ; les compagnies sont en train d'encercler les communautés paysannes et de faire pression sur elles pour qu'elles vendent leurs terres ; les familles ont peur de rester isolées dans une zone de plantations et, persécutées par les entreprises et par les élites locales, elles finissent par vendre leurs terres ; les économies locales chancellent, la faim, la violence et la dégradation sociale augmentent ; les organisations qui s'opposent à cette expansion sont criminalisées par les entreprises et par l'État brésilien qui donne des subsides, des incitations fiscales, du soutien économique, militaire, juridique et même moral, faisant croire ainsi que ceux qui sont contre ces méga-projets sont contre le développement. Si l'on considère la fragilité du biome de la caatinga, les prévisions concernant le changement climatique dans la région, [...] les effets sur le Nord-Est vont sans doute être bien plus graves, et la portée du désastre bien plus importante, que ce qu'on a vu dans d'autres régions du pays. Les communautés paysannes risquent d'être détruites, ce qui va se traduire par une diminution immédiate de la production d'aliments, de sorte que l'ensemble de la société en subira les conséquences ».

Krauser affirme aussi : « Nous sommes absolument contre cette expansion ; bien que la combustion de bois soit considérée comme moins polluante, la production de bois est très dangereuse et mauvaise pour la vie des paysans et d'autres communautés, elle est mauvaise pour le développement du pays. Nous avons suffisamment d'exemples qui prouvent que, là où les plantations industrielles d'arbres s'installent, la faim, la misère et les inégalités sociales augmentent. Le ‘développement durable' ne va pas de pair avec la monoculture d'arbres dans les pays tropicaux. Ce que les entreprises racontent n'est qu'une illusion ».

D'après les dernières informations publiées sur le site web de Suzano, le rapport du premier trimestre 2011 dit que « l'entreprise évalue des alternatives pour la constitution du capital de Suzano Energia Renovável » ; cela indiquerait que l'entreprise n'a pas encore obtenu le soutien financier nécessaire pour mettre en œuvre l'ensemble du projet.

Considérations finales sur les implications de la monoculture de biomasse

Comme le montre l'expérience brésilienne en matière de plantations industrielles d'arbres, l'expansion de ce modèle risque fort de provoquer des conflits. Dans le cas du Nord-Est, les principaux problèmes sont l'expulsion directe ou indirecte des populations paysannes qu'implique la création de 150 000 hectares de plantations, et la diminution des réserves d'eau qu'entraînent ces arbres à croissance rapide. Ces plantations commerciales seraient probablement les premières, au Brésil et au monde, à appliquer un cycle de rotation aussi court. Et tout ceci dans une région, le Nord-Est du Brésil, qui a toujours été soumise à de dures périodes de sécheresse.

Cet exemple montre, une fois de plus, que la seule manière de commencer à résoudre la crise climatique mondiale est de réduire radicalement les émissions de carbone dans le Nord. La création de grandes plantations industrielles d'arbres suivant un modèle agricole conventionnel, et le transport de granulés de bois à travers l'océan pour faire tourner des centrales électriques au Royaume-Uni, ne représentent qu'une autre fausse solution et créent simultanément de nouveaux problèmes pour les communautés locales du Nord-Est du Brésil.

Adaptation de l'article du même titre rédigé par Winnie Overbeek et publié en ligne par Corporate Watch (www.corporatewatch.org).