1. Que sont les « services écologiques », les « paiements pour services écologiques » et le « commerce des services écologiques » ?

 

Le service écologique, que l’on appelle aussi « service écosystémique », inclut le substantif « service », un terme souvent utilisé dans le domaine de l’économie capitaliste de marché, dans laquelle des entreprises et des professionnels rendent les services les plus divers et se font payer en contrepartie. Le terme « service écologique » suggère donc que, d’un côté, il y a quelqu’un ou quelque chose qui le rend et, de l’autre, quelqu’un qui le reçoit et l’utilise. Cette logique semble s’appliquer également service écologique et à sa commercialisation.

Cependant, le service écologique possède une particularité : au lieu d’être rendu par une personne ou une entreprise, il est offert, gratuitement, par la nature. Les défenseurs des services écologiques citent l’exemple des régions boisées qui, grâce à la densité de leur végétation, « stockent » et « produisent » le « service écologique » représenté par l’eau, lequel assure à son tour l’approvisionnement d’un village indigène qui habite cette forêt et d’une petite localité des environs. C’est comme si la nature était une sorte de « fabrique d’eau » ! Comme nous verrons plus loin, beaucoup d’intérêts commerciaux sont associés à ce processus.

La biologiste américaine Gretchen Daily, qui défend l’idée des services écologiques, les définit comme suit : « les conditions et les processus par lesquels les écosystèmes naturels et les espèces qui les constituent soutiennent et permettent l’épanouissement de la vie humaine ». Elle allègue que les services écologiques assurent la biodiversité des écosystèmes et qu’ils finissent par devenir des « biens », comme le bois, les aliments ou les plantes médicinales, qui sont ensuite transformés en produits importants pour la vie humaine (1).

D’autres auteurs (2) d’Europe et des États-Unis, parlent des « fonctions écologiques », en pensant non seulement aux services rendus par la nature à l’être humain mais aux fonctions qui sont essentielles pour le maintien de la vie sur la planète :

  1. les fonctions de régulation des processus écologiques et des systèmes qui sont le support de la vie sur la planète. Ces fonctions rendent à l’être humain, directement ou indirectement, de nombreux services, comme l’eau et l’air propres, le sol fertile et le contrôle biologique des ravageurs ;
  2. les fonctions dites « d’habitat », qui concernent la fonction des écosystèmes naturels d’offrir un refuge et les conditions nécessaires à la reproduction des plantes et des animaux sauvages, contribuant ainsi à la conservation de la diversité biologique et génétique ;
  3. les fonctions productives, qui comprennent le processus de croissance, le stockage de carbone (CO2) et de nutriments du sol et la production de biomasse. Ceci implique la production de nombreux aliments, de matières premières pour divers usages et de sources d’énergie pour les communautés ;
  4. les fonctions d’information et autres, qui impliquent l’existence de possibilités de réflexion, d’enrichissement spirituel et de loisirs.

On parle de « paiement pour services écologiques » quand quelqu’un paie une somme déterminée d’argent, un prix, pour un service écologique rendu. Bien évidemment, la nature ou, dans l’exemple mentionné, la forêt qui « emmagasine » et « produit » de l’eau, n’a pas de compte en banque pour recevoir l’argent correspondant au service rendu. C’est pourquoi les défenseurs de l’idée affirment qu’il faut qu’une personne ou une institution reçoivent ce paiement (à la condition d’être « propriétaires » de la forêt en question), et aussi que quelqu’un soit disposé à acheter le service : ainsi démarre le « commerce des services écologiques ».

Bien qu’il existe beaucoup d’autres écosystèmes, comme le cerrado, les pâturages naturels ou les mers, les forêts sont sans doute l’écosystème le plus important quand il s’agit de projets de paiement et commercialisation des services écologiques. Cela est dû à leur énorme richesse en termes de diversité biologique et, par conséquent, à la grande quantité de services qu’elles rendent, comme la conservation de l’eau et le piégeage et le stockage de carbone, entre autres.

Des centaines de millions de personnes vivent dans les forêts et en dépendent absolument pour leur survie physique et culturelle. Une habitante du village de Katobo du territoire Walikali, situé dans l’Est de la République démocratique du Congo, fait part de la signification que la forêt a pour elle :

« Nous sommes heureux dans notre forêt. Nous y cueillons du bois de feu, nous cultivons des aliments et nous mangeons. La forêt nous donne tout, des légumes, des animaux de toutes sortes, et cela nous permet de bien vivre. C’est pourquoi nous sommes très contents de notre forêt, parce qu’elle nous permet d’obtenir tout ce qu’il nous faut. Et nous, les femmes, nous avons spécialement besoin d’elle, parce que nous y trouvons le nécessaire pour nourrir nos familles. Quand nous entendons dire que la forêt pourrait être en danger nous nous inquiétons, parce que nous ne pourrions pas vivre ailleurs. Et si quelqu’un nous disait que nous devons quitter la forêt nous serions très en colère, parce que nous ne pouvons pas imaginer une vie qui ne soit pas dans la forêt ou près d’elle. Quand nous plantons des aliments, nous avons à manger, nous avons l’agriculture et aussi la chasse ; les femmes sortent des crabes et des poissons des rivières. Nous avons des légumes divers, et des plantes sauvages comestibles, et des fruits, toutes ces choses que nous mangeons, qui nous donnent de la force et de l’énergie, des protéines et tout ce qu’il nous faut. »(3)

Or, l’idée des services écologiques diffère beaucoup de la vision exprimée dans cette déclaration. Le commerce des services écologiques étant une affaire entre un vendeur et un acheteur, il s’agit d’un mécanisme de marché où la nature est transformée en « unités quantifiées », en biens commercialisables, en « certificats », « titres » ou « actifs ». En outre, il présuppose l’idée de gagner de l’argent et de pouvoir détruire les services écologiques à un endroit pourvu que cette destruction soit associée à une « protection », une « récupération » ou une « amélioration » à un autre endroit. Par conséquent, le commerce des services écologiques diffère radicalement de la manière dont les peuples ont toujours apprécié la forêt.

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1 - Daily, G, 1997. Introduction: What Are Ecosystem Services? dans Daily, G. (éd.), Nature’s Services. Societal Dependence on Natural Ecosystems, Island Press, Washington DC. Informations tirées du glossaire élaboré pour le cours Ecological Economics and Political Ecology du projet EJOLT, coordonné par l’Université autonome de Barcelone.

2 - de Groot, R., 1994. Environmental functions and the economic value of natural ecosystems. Dans: A.M.Jansson, (éd.), Investing in Natural Capital: The Ecological Economics Approach to Sustainability, Island Press, pages 151–168.; de Groot, R., M. Wilson, R. Boumans, 2002. A typology for the classification, description and valuation of ecosystem functions, goods and services, Ecological Economics, 41, 393-408. Informations tirées du glossaire élaboré pour le cours Ecological Economics and Political Ecology du projet EJOLT, coordonné par l’Université autonome de Barcelone.

3 - WRM, “Forests. Much more than a lot of trees”. Vidéo, www.wrm.org.uy, 2011