Brésil : Aracruz sème la violence et la destruction à Espíritu Santo

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Dans le cadre de la célébration du Jour des droits de l’Homme, nous croyons opportun de divulguer un travail réalisé cette année au Brésil. Il s’agit d’une recherche qui analyse les effets de méga-projets commerciaux sur les droits de l’homme. Dans ce cas, les projets en question sont des plantations d’eucalyptus à grande échelle dans le Nord de l’État d’Espiritu Santo. Le dossier est un apport important, car il offre une vision qui élargit et enrichit la lutte pour les droits de l’homme, tout en contribuant à ce que le thème des droits de l’homme soit plus effectivement incorporé dans les luttes des communautés touchées.

Déséquilibre écologique, faim, misère, maladies, beaucoup de destruction, tromperie,
insectes, atteintes psychologiques, destruction des forêts, de la flore, des indigènes, des fleuves, des rivières et de la santé, destructuration économique, culturelle et religieuse, manque de respect, perte de terres, dépression, désorganisation et destruction des familles afro-brésiliennes(quilombolas), invasion de la police militaire dans les communautés, expulsion des jeunes, chômage, manque de travail, travail semi-esclave, précarité, usurpation, contamination, destruction de la vie et violation des droits.

Ces éléments peuvent être trouvés dans les réponses des afro-brésiliens de l’Etat d’Espiritu Santo quand on les interroge sur les derniers 40 ans d’agissements d’Aracruz dans l’État. Les questions leur ont été posées pendant l’enquête qui a donné le "Relatório de Impactos em Direitos Humanos de Grandes Projetos (EIDH/RIDH): O caso do monocultivo de eucalipto em larga escala no Norte do ES – o projeto agroindustrial da Aracruz Celulose/Fibria e as comunidades quilombolas do Sapê do Norte" (Rapport sur les effets des grands projets sur les droits de l’Homme (EIDH/IIDH). Le cas de la monoculture d’eucalyptus à grande échelle dans le Nord de l’État d’Espiritu Santo : le projet agro-industriel d’Aracruz Celulose/Fibria et les communautés afro-brésiliennes du Sapê do Norte). Le Mouvement national pour les droits de l’Homme à Espiritu Santo (MNDH/ES) et le Centre de défense des droits de l’Homme (CDDH) de Serra ont présenté l’étude, le 27 mai, à l’Assemblée Législative de l’État d’Espiritu Santo.

Ce travail fait partie de trois études de cas que le MNDH a réalisées au Brésil cette année pour montrer de façon évidente le besoin urgent de revoir la démarche actuelle pour l’installation de grands projets, comme les plantations industrielles, les projets d’exploitation minière et les grands barrages. Actuellement, au Brésil et dans bien d’autres pays, les autorités exigent seulement une Étude et un Rapport d’influence sur l’environnement (EIE/RIE), pour accorder le permis de mise en œuvre et de fonctionnement des grands projets. Pour le MNDH, l’EIE/RIE est totalement insuffisante pour mesurer les conséquences réelles d’une entreprise, en particulier quant au thème des droits de l’homme. Les trois études de cas du Brésil vont constituer un livre et seront présentées au gouvernement brésilien pour exiger qu’il élabore un instrument légal qui oblige à la réalisation d’une étude et d’un rapport concernant l’effet sur les droits de l’homme au Brésil (EIDH/RIDH). Il convient de rappeler qu’un important document de référence pour l’étude réalisée dans les communautés afro-brésiliennes du Sapê do Norte a été un guide élaboré par l’organisation “Rights and Democracy”. Il s’agit d’un ouvrage pratique pour la réalisation des études d’impact sur les droits de l’homme.

L’EIDH/RIDH à Espiritu Santo, Brésil, s’est attaqué aux 40 ans de violation des droits de l’homme dans les plus de 30 communautés afro-brésiliennes du Sapê do Norte, dans les communes de Conceiçao da Barra et São Mateus. Environ six mille afro-brésiliens y vivent, qui ont souffert des changements brutaux de leur mode de vie à partir de l’implantation de la monoculture d’eucalyptus sur leurs terres, principalement par l’entreprise Aracruz Celulose, actuellement Fibria.

L’étude se divise en chapitres sur les droits de l’homme à la terre, à l’environnement, à l’alimentation et au travail, et sur le processus de persécution et de criminalisation des afro-brésiliens mis en place par l’entreprise Aracruz Celulose/Fibria, en alliance avec des agents publics et le Mouvement Paix à la Campagne (MPC) – une organisation qui réunit des propriétaires terriens et quelques secteurs locaux qui s’opposent aux droits territoriaux des afro-brésiliens.

Le droit à la terre

Une enquête réalisée sur un an a constaté que le droit à la terre des afro-brésiliens a été gravement violé. Une vaste documentation à laquelle a eu accès l’équipe qui a réalisé l’EIDH/RIDH montre qu’Aracruz s’est approprié, avec la complicité de l’État, des terres qui appartenaient à ces communautés.

L’étude raconte des cas extrêmes de manipulation. L’un d’eux est celui d’Antonio Alage qui, en 1947 (un an avant sa naissance en 1948), « acquit » 200 hectares à Itauninas, Corrego de Santo Antonio, à Conceiçao da Barra. Le même Alage demanda, le 11/09/1975, 178 hectares de terres « devolutas » (1) de l’État d’Espiritu Santo, à un endroit de São Mateus appelé Rio Santana, et cette parcelle passa le lendemain aux mains de Vera Cruz Agroflorestal S.A., filiale d’Aracruz. Les intermédiaires ne reçurent rien en échange, ils faisaient simplement une « faveur » à l’entreprise. L’EIDH/RIDH indique que ces possessions d’Aracruz sont, par conséquent, illégales et que « les communautés ont été victimes d’une spoliation et de falsification de documents lors de l’acquisition des terres ».

Les dénonciations se firent jour à la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) sur Aracruz en 2002. Cependant, à ce jour, une requête du Bureau du Procureur Général de l’Etat, présentée en 2004 pour annuler ces légitimations illégales, n’a eu aucun résultat réel.

A partir de la résistance et de l’organisation des afro-brésiliens, la Constitution et, plus tard, le Décret 4887/2003 cherchent à réparer la violation du droit territorial. Depuis, l’INCRA (2) a réalisé cinq rapports d’identification des territoires afro-brésiliens au Sapé do Norte, en les délimitant et en y incluant diverses parcelles aujourd’hui couvertes d’eucalyptus d’Aracruz/Fibria. Cependant, aucun de ces territoires n’a encore été démarqué.

L’environnement

Le déboisementet et les plantations d’eucalyptus ont abouti à la violation du droit à un environnement « écologiquement équilibré, bien destiné à son utilisation commune par le peuple ». Ce droit est stipulé par la Constitution et aussi par des accords internationaux. L’arrivée d’Aracruz a fait que les communautés perdent leurs richesses (la forêt avec sa faune et sa flore, les rivières et les ruisseaux) et que la quantité et la qualité des poissons de la région diminuent brutalement. Actuellement, la forêt a pratiquement disparu, et les cours d’eau se sont taris à cause de la plantation d’eucalyptus.

Dans le EIDH/RIDH-ES, des chefs afro-brésiliens affirment que l’application constante de produits toxiques agricoles contamine le milieu où ils vivent et dont ils dépendent. Un cas évident est celui du travailleur Jorge Francelino, malade à cause de son travail d’applicateur de poison dans les plantations d’eucalyptus effectué pour le compte de Plantar, entreprise sous contrat d’Aracruz. Il réussit, après bien des années, à recevoir une indemnité de l’entreprise, mais ne retrouva pas pour autant sa santé. « Parfois, je ne sais pas ce que je ressens dans la tête. Un mal de tête disparaît avec un comprimé. Mais chez moi, c’est une douleur dans la tête. Elle est comme anesthésiée, j’ai mal au front, au nez. Un jour, je me réveille sourd d’une oreille, le lendemain c’est l’autre oreille. J’ai mal au larynx. Et aujourd’hui, j’ai les deux jambes enflées ! »

Outre cela, la transformation de l’environnement des afro-brésiliens en un désert vert rend impossibles la chasse, la pêche, l’extraction de bois pour la construction des maisons, la cueillette, la fabrication artisanale d’objets ou de farine et la culture diversifiée. Cela débouche sur la violation du droit à une alimentation convenable, tout en favorisant l’insécurité alimentaire. L’étude mentionne la violation différenciée des droits des femmes, embauchées par Plantar pour l’application de poison dans les plantations d’eucalyptus.

La criminalisation

Aujourd’hui, dans beaucoup de collectivités prédomine le travail de ramassage de branches et de bouts d’eucalyptus et la fabrication de charbon, qui garantit la survie de nombreuses familles. De cette façon, les nouvelles générations sont obligées d’intégrer une activité de travail caractérisée par des conditions infra-humaines. On viole par là le droit au travail digne.

Au début, la récupération de ces déchets de bois était permise par Aracruz/Fibria selon un accord passé avec une association locale. A partir de 2004, l’entreprise chercha à éliminer graduellement cette pratique, sous prétexte de problèmes fiscaux ou de droit du travail. Ainsi débuta immédiatement un processus de criminalisation des afro-brésiliens, en leur interdisant ou en restreignant l’accès aux plantations, avec l’appui des entreprises de sécurité Visel, puis Garra – engagées elles aussi comme service de sécurité – que les communautés considèrent comme des milices armées.

L’étude révèle que le premier cas se produisit en 2006, quand Aracruz/Fibria elle-même proposa aux afro-brésiliens le ramassage des déchets de bois sur une parcelle de la commune de Linhares. Cependant, alors que les travailleurs étaient à cet endroit, la police les arrêta en les accusant de vol. 82 personnes, presque toutes afro-brésiliennes, furent arrêtées. A leur insu, il existait déjà une décision judiciaire d’interdiction concernant cet endroit. Joelton Serafim Blandino, afro-brésilien, raconte que « c’était très difficile, car il n’y avait pas de travail pour nourrir la famille lorsqu’on nous a agressés, là-bas, à Linhares. Je ne suis pas un voleur, je me bats seulement pour ma survie et celle de ma famille ».

Un autre cas survint le 11 novembre 2009, dans la communauté de São Domingo, quand 130 policiers armés arrivèrent au village avec des armes lourdes, des chiens et des chevaux, et arrêtèrent 39 personnes, y compris un aveugle et un homme de 83 ans qui mourut trois mois plus tard. L’étude explique que l’action de la police impressionne par son illégalité : elle eut lieu à 8 heures, alors que le mandat judiciaire qui l’autorisait ne parut qu’à midi. En plus de cela, le mandat ordonnait la recherche et l’arrestation, mais non l’ emprisonnement. En route pour le commissariat, les policiers firent halte pour prendre de la nourriture dans un des bureaux d’Aracruz/Fibria, tandis qu’ils laissaient les 39 personnes menottées dans le bus, sous l’œil de quelques policiers fortement armés.

Basé sur l’article de Winnie Overbeck (Red Alerta/Espiritu Santo, Brésil, woverbeek@terra.com.br) paru dans le journal Brasil de Fato du 22 juin 2010. Le rapport intégral se trouve sur le site webwww.cddh.com.br.

1- Les terres « devolutas » sont des terres qui appartiennent à l’Etat et qui, comme le stipule la Constitution fédérale, devraient être destinées à l’agriculture à faible échelle, dans le cadre d’une réforme agraire.
2- Institut national de colonisation et de réforme agraire