Des investisseurs anciens et nouveaux sont derrière l’expansion des plantations industrielles d’arbres

La logique capitaliste, suivant laquelle la croissance économique permanente est indispensable à ce qu’on appelle développement, a toujours porté à accroître la production, à augmenter la consommation, à inventer de nouveaux produits pour que les marchés se développent et à renforcer ainsi le commerce. Les fortes sommes d’argent que ces mouvements ont produit ont rendu possible leur reproduction, dans une spirale ascendante d’exploitation des écosystèmes et des personnes, dont le corollaire a été la concentration et l’accaparement entre les mains de quelques minorités fortunées, et l’exclusion et la spoliation des grandes majorités populaires.

La préparation de la scène

Pour rendre ce processus possible, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont imposé, surtout depuis la fin des années 1980, des mesures qui, d’une manière ou d’une autre, ont privatisé des secteurs de l’économie et les ont ouverts au marché international, tout en multipliant les transactions financières. L’OMC et les traités de libre-échange en ont fourni le cadre, en approfondissant graduellement la libéralisation et la mondialisation du commerce.

Dans le cas du secteur forestier, les fonds qui ont permis l’expansion de la monoculture d’arbres sont de diverses sortes : 1) les investissements directs qui, à l’heure actuelle, représentent la plupart de l’investissement du secteur privé – dont les agents principaux ont été des sociétés transnationales – avec des fonds des banques multilatérales et nationales de développement mais aussi des banques privées ; 2) les investissements indirects – par l’intermédiaire, par exemple, de fonds d’investissement – qui deviennent de plus en plus importants ; 3) des mécanismes financiers complexes, comme le MDP et le REDD+ ; 4) des incitations fiscales directes (exemptions d’impôts, prêts subventionnés pour encourager l’investissement) et indirectes (soutien à la recherche, à la formation, à l’extension et même à l’information commerciale) ; 5) la construction de l’infrastructure (chemins, ports, voies fluviales, etc.) nécessaire au développement de l’affaire qui comporte la production de matière première pour l’exportation avec une logistique complexe. Dans tous les cas, les entreprises et les fonds d’investissement ont eu accès, sans rien payer ou en payant un minimum pour l’utilisation des terres ou de l’eau, à des « ressources naturelles » de grande valeur et à de la main-d’œuvre bon marché, ce qui leur a permis d’augmenter leur portée, leur capital et donc leurs bénéfices.

En plus de ces mécanismes, l’expansion de la monoculture d’arbres a besoin d’une plate-forme de décollage dont la formulation revient aux gouvernements et qui se concrétise dans des réformes institutionnelles, politiques et macro-économiques qui permettront de créer l’environnement institutionnel et juridique nécessaire au développement du secteur. Ceci comporte certaines ramifications comme, par exemple, l’influence que les entreprises essaient d’avoir sur les gouvernements en finançant les campagnes électorales des candidats qui ont des possibilités réelles de remporter les élections, ou d’autres formes de paiement illégitimes qui ont été dénoncées en plusieurs occasions.

Tel est le décor dans lequel se déplacent les acteurs publics et privés qui fournissent les fonds nécessaires pour acheter la terre, s’il le fallait, et les machines (qui viennent du Nord), payer les employés (ou favoriser la sous-traitance), construire les usines. En Amérique latine surtout, des entreprises privées de l’industrie de la pâte et du papier sont propriétaires de la terre ; elles plantent des eucalyptus et des pins pour produire la matière première qui sera ensuite exportée, le plus souvent vers les pays du Nord où ont lieu les activités à forte valeur ajoutée, de la fabrication de machines de technologie de pointe pour la fabrication de pâte et de papier à celle de papier de grande qualité. En plus, l’utilisation croissante de bois pour la génération d’énergie (voir le Bulletin 186 du WRM) augmente la demande et ouvre de nouveaux espaces à l’investissement dans le secteur, en confirmant le besoin de grandes étendues de plantations et de l’infrastructure nécessaire pour que le produit final parvienne au marché. D’autre part, les sociétés conseil telles que la compagnie finlandaise Pöyri qui est installée dans 50 pays et qui s’occupe du secteur de la pâte et du papier, sont d’importants agents de promotion des plantations industrielles d’arbres ; elles renforcent le modèle de production d’arbres à grande échelle en régime de monoculture, identifient de nouveaux marchés, conçoivent des « plans forestiers » et font des évaluations d’impact environnemental.

D’où viennent les fonds

De façon générale, les fonds nécessaires aux investissements forestiers et aux usines de pâte ont été apportés par les banques, qu’elles soient commerciales ou de développement, au moyen de lignes de crédit et de prêts, ou de subsides dirigés dans le cas des banques publiques. D’après Chris Lang (http://chrislang.org/2007/06/30/banks-pulp-people-part-1/), entre 2000 et 2006 les entreprises papetières ont obtenu 215 500 millions de dollars des marchés de capitaux internationaux, ce qui représente une énorme augmentation par rapport aux 1 900 millions que les banques de développement avaient apporté au secteur dans la période 1990-2000. De leur côté, le rôle des banques de développement du Sud est devenu de plus en plus important. À titre d’exemple, la BNDES du Brésil est devenue proactive dans son soutien du secteur des « plantations forestières », et elle a financé la fusion d’entreprises forestières pour créer de grandes entreprises brésiliennes plus compétitives sur le marché mondial ; dans ce dernier cas, elle a fini par devenir le principal actionnaire des entreprises.

D’autres acteurs fondamentaux ont été les agences multilatérales, la FAO par exemple. Parmi les banques de développement multilatérales les plus importantes sont la Banque mondiale et sa Société financière internationale (SFI), la Banque européenne d’investissement et la Banque nordique d’investissement (BEI et BNI), ainsi que des banques régionales telles que la Banque asiatique de développement (BAsD). Elles financent toutes des consultations et des projets des entreprises de plantation, en fonctionnant comme des « arbitres en matière de qualité, une fonction que le secteur privé leur reconnaît tacitement », d’après un rapport du Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR).

La Banque mondiale : le même moteur de toujours des plantations industrielles, avec un nouveau visage

Le Programme d’investissement pour la forêt (FIP) est un des programmes du Fonds stratégique pour le climat (SCF) et, de façon plus générale, il fait partie des Fonds pour l’investissement climatique (CIF). Son but est d’aider les pays du Sud à atteindre leurs objectifs en matière de REDD en leur fournissant des fonds. Il est administré par la Banque mondiale.

Ses détracteurs préviennent que la Banque mondiale utilisera le FIP pour accroître son financement des projets de plantations d’arbres, sous prétexte de « renforcer les stocks de carbone » et le « reboisement ».

L’intention du FIP n’est pas claire du tout lorsqu’il annonce qu’il vise à « augmenter l’investissement privé dans le développement de moyens de subsistance alternatifs » ; il ne précise pas non plus quelle incidence cela pourrait avoir sur les peuples autochtones et les communautés traditionnelles. Les initiatives passées concernant des « moyens de subsistance alternatifs » dans les forêts, financées par la Banque mondiale et par le FEM, n’ont souvent pas eu de retombées significatives pour les communautés et, dans certains cas, elles ont aggravé la situation de la population locale.

Bien que les directives pour le fonctionnement du FIP aient été révisées pour faire référence à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP), des critères destinés à assurer le respect de l’UNDRIP ou à inclure le consentement préalable, libre et informé des peuples autochtones concernés n’y ont pas été ajoutés. En outre, les recommandations des observateurs de la société civile qui disaient que les directives du FIP devaient observer les accords internationaux concernant les droits humains et environnementaux ont été rejetées.

Sources : site web de la Fondation Heinrich Böll et de l’Overseas Development Initiative, climatefundsupdate.org ; « Le Programme d’investissement pour la forêt (FIP) de la Banque mondiale : éléments centraux et enjeux cruciaux »,http://www.forestpeoples.org/sites/fpp/files/publication/2010/08/fipbriefingoct09fr_0.pdf.

Les deniers publics des pays du Nord financent, eux aussi, l’expansion des plantations industrielles d’arbres par l’intermédiaire d’agences bilatérales, comme la SIDA (agence suédoise de coopération bilatérale). Plusieurs fonds d’investissement suédois ont des parts de l’entreprise forestière suédoise-finlandaise Stora Enso et participent, avec la SIDA, à des projets de monoculture d’arbres au Mozambique (voir l’article sur le Mozambique dans le présent bulletin). Un autre exemple en est Green Resources, entreprise financée par des fonds publics norvégiens, qui a investi en Ouganda et Tanzanie dans des milliers d’hectares de plantations industrielles d’arbres qui remplacent des prairies naturelles pour obtenir des crédits carbone dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP). Si le conseil de direction du MDP approuve le projet, Green Resources vendra les crédits à l’entreprise pétrolière norvégienne Statoil (voir http://www.wrm.org.uy/publications/ejolt.html).

Les gouvernements ont souvent des intérêts associés aux projets. Dans ce cas comme dans d’autres, l’intérêt du pays joue en faveur du projet, ce qui favorise les transnationales : le gouvernement norvégien vise à obtenir 400 000 crédits carbone du projet tanzanien, sur les 6 millions que le pays souhaite acheter pour répondre en partie à son engagement à réduire ses émissions de carbone en application du Protocole de Kyoto.

Les nouveaux acteurs financiers

Aux investisseurs classiques viennent s’ajouter les investisseurs institutionnels qui n’appartenaient pas au secteur forestier mais qui se sont tournés vers ce marché à partir des crises économiques et financières successives qui ont mis en lumière le fort degré de volatilité des marchés financiers. Les plantations industrielles d’arbres sont devenues des actifs du marché forestier, dont un des attraits est sa résilience face aux crises ; en outre, ces investissements à long terme sont relativement sûrs et considérablement rentables par rapport au faible risque qu’ils comportent. D’après les chiffres de la FAO, l’investissement dans le secteur forestier a atteint 50 000 millions de dollars en 2011.

Les bénéfices économiques des activités forestières sont gérés surtout par deux groupes d’investisseurs professionnels :

• les organisations dénommées TIMO d’après leur nom en anglais, Timber Investment Management Organizations (voir les bulletins 170 et 182 du WRM). Elles gèrent des portefeuilles d’investissements forestiers par lesquels leurs clients – fonds de pensions, institutions financières et compagnies d’assurance – deviennent propriétaires terriens ; leurs bénéfices proviennent de la spéculation en biens-fonds et de la production de bois ;

• les fonds d’investissement immobilier REIT (Real Estate Investment Trust), qui ont une structure différente de celles des TIMO et davantage de liquidités.

Les deux groupes facilitent aux investisseurs l’accès aux affaires forestières dans les pays les plus « productifs » dans ce domaine, parmi lesquels figurent le Brésil, le Chili, le Canada, l’Uruguay, les pays d’’Amérique centrale, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays d’Europe de l’Est.

D’autres véhicules financiers de l’investissement forestier sont les fonds cotés en bourse (ETF, Exchange Traded Funds) : les investisseurs peuvent acheter par ce moyen des actions qui ont davantage de liquidité, c’est-à-dire qu’on peut les acheter et les vendre facilement en investissant de petites sommes. Les fonds à capital fixe sont généralement des plans d’investissement collectif où les investisseurs achètent un nombre limité d’actions et obtiennent le capital plus le bénéfice après une période prédéterminée.

D’après une étude des Nations unies (http://www.un.org/esa/forests/pdf/AGF_Study_July_2012.pdf), les investissements des TIMO dans des plantations forestières transformées en actifs en Amérique latine et aux Caraïbes sont parmi les plus importants du secteur privé. Dans la période 2006-2011, les investissements de ces fonds ont représenté 12 % des investissements privés dans le secteur forestier d la région, et ils ont totalisé en moyenne 323 millions de dollars par an.

Les fonds de pensions, par l’intermédiaire des TIMO, ont pris beaucoup d’importance dans l’investissement forestier. Le régime de retraite des enseignants de l’Ontario (Ontario Teachers’ Pension Plan), qui gère les pensions de 250 00 enseignants en activité ou à la retraite et qui est le plus important du Canada, a un investissement de l’ordre des 79 milliards de dollars en actifs et investi 2,3 milliards de dollars dans les plantations forestières.

Sur le total des investissements forestiers en Amérique latine et aux Caraïbes, 68 % ont été dirigés au Brésil, par l’intermédiaire de fonds tels que Cambium, Claritas, Florestal Brasil Investment, FC, Galtere, Global Forest Partners, GTF, Hacock Timber Resource Group, Phaunus, Quadris, Resources Management Services, Timber Value, Timber Group, Terra Capital et le fonds à capital privé Brookfield. Ce dernier, auquel participent des fonds de pension tels que celui de la police et des pompiers de l’Ohio (OP&F, Ohio Police and Fire Pension Fund) et celui des enseignants et fonctionnaires de l’éducation du Nouveau-Mexique (New Mexico Educational Retirement Board, NMERB), gère plus de 95 000 hectares de plantations de pins et d’eucalyptus dans les États de Santa Catarina, Paraná, Minas Gerais et Mato Grosso do Sul.

Le Système de retraite des fonctionnaires de Californie – le plus grand fond de pensions des États-Unis, avec plus de 245 milliards de dollars en actifs – a récemment investi au Brésil par l’intermédiaire du groupe investisseur états-unien Global Forest Partnership (GFP), qui gère des fonds de pensions à l’échelon mondial et qui possède au Brésil 250 508 hectares.

Ce même groupe est présent également en Uruguay (qui a reçu 14 % des investissements de fonds forestiers), où il est propriétaire de quatre entreprises forestières qui totalisent 140 595 hectares (voir l’article sur l’Uruguay). L’Argentine a reçu 12 % des investissements forestiers, tandis qu’au Chili, les investissements du fonds GMO Renewable Resources, du fonds d’investissement forestier Lignum et du fonds européen de capital privé Orion Capital représentent 6 % du total.

Dans le Sud-Est asiatique, en raison surtout des risques politiques et des insécurités concernant la propriété de la terre, seuls quelques fonds d’investissement s’adressent au secteur forestier, d’après les déclarations d’Andrew Steel, cadre supérieur de la société conseil Treedom Investments. Néanmoins, Steel a affirmé qu’a augmenté l’intérêt dans les « plantations forestières » d’importants acteurs financiers et même d’investisseurs institutionnels asiatiques comme la Banque agricole de Chine. Il a commenté aussi que son agence est en train d’investir dans le secteur forestier en Thaïlande, et qu’elle vise aussi l’Indonésie, le Vietnam, l’Inde, le Laos, la Malaisie et le Sri Lanka. Steel a mentionné également New Forests, entreprise d’investissement forestier de Sydney, Australie, la société d’investissement de portée mondiale Global Environment Fund, et l’entreprise états-unienne Greenwood Resources, ainsi que d’autres qui ont fait d’importants investissements dans la région (http://www.facebook.com/permalink.php?id=160084030748846&story_fbid=326790394078208).

Nouvelles tendances : le maquillage vert de la certification au visage financier

Le WRM a dénoncé à maintes reprises que la prétention de certifier qu’un produit obtenu d’une plantation industrielle à grande échelle – qu’il s’agisse d’eucalyptus, de pins, de palmiers, d’hévéas ou de n’importe quel autre arbre – est trompeuse, malgré ce qu’affirme le FSC quand il certifie des millions de plantations de ce genre dans le monde entier. Ces systèmes de certification ignorent la complexité et les impacts inhérents à toute plantation à grande échelle, en régime de monoculture et à des fins industrielles. Cependant, les vieux et les nouveaux acteurs qui rendent les plantations financièrement viables se sont approprié ce moyen de « garantir » aux gens, qui placent leur argent dans une banque ou dans un fonds, qu’ils sont en train de contribuer au « développement durable » ou à « l’économie verte », comme le promettaient les entreprises aux acheteurs de leurs produits. Ainsi, davantage de protagonistes commerciaux et financiers continuent de maintenir cette fraude qu’est la certification.

Dans le passé, les banques, soucieuses de leur réputation, se retiraient parfois de certains projets en raison des révélations des ONG sur les impacts d’une entreprise déterminée. Aujourd’hui, les entreprises s’associent aux banques et à d’autres institutions financières dans des initiatives telles que la RSPO (Table ronde pour l’huile de palme durable). À la RSPO participent 11 banques et fonds d’investissement très importants, par exemple la SFI de la Banque mondiale, les banques privées HSBC et Rabobank et le fonds d’investissement Generation Investment Management (http://www.rspo.org/en/member/listing/category/Banks%20and%20Investors). Ce dernier, créé entre autres par Al Gore en 2004, affirme qu’il envisage les investissements en partant de l’idée que les facteurs de « durabilité » détermineront les bénéfices à long terme d’une entreprise, tandis que les problèmes mondiaux, comme le changement climatique, présentent autant de « risques » que de « possibilités » (http://www.generationim.com/about/). Bien que deux des institutions financières membres de la RSPO viennent du Sud-Est de l’Asie, la plupart appartiennent à des pays industrialisés du Nord qui cherchent de nouvelles « opportunités » d’investissement.

La certification continue d’avancer parce qu’elle semble être une bonne affaire qui intéresse autant les entreprises de la filière forestière que celles qui, en garantissant la durabilité des produits, facilitent la réalisation d’affaires dans une économie qu’on appelle « verte » et « durable ». À présent, elle de plus en plus utile aux institutions financières également.

Les Principes pour l’investissement responsable sont encore une initiative des investisseurs en association avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et le Pacte mondial de l’ONU. Cette initiative préconise l’application de six principes en vue d’éviter que « les questions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise » n’influent « sur la performance des portefeuilles d’investissement ». Parmi les 741 gestionnaires d’investissement qui y ont adhéré figurent des banques, des fonds d’investissement et des fonds de pensions (http://www.unpri.org/signatories/signatories/#investment_managers).

Des affaires rentables pour qui ?

Les mouvements de grands volumes d’argent montrent que l’économie s’est transformée peu à peu en un marché financier, où ceux qui jouent sont des agents de plus en plus puissants qui cherchent à accroître leurs bénéfices. La participation croissante des fonds d’investissement dans les plantations industrielles d’arbres montre que le capital financier y participe aussi de plus en plus et influe sur cette activité, pour obtenir des profits plus importants et en créant de nouvelles formes de spéculation.

Dans la mesure où les considérations d’ordre social et environnemental sont au bout de la liste des priorités et qu’on s’en occupe au moyen de la certification et d’autres initiatives concernant les principes de « durabilité », un problème qui pèse vraiment aux investisseurs est que le coût des investissements est de plus en plus élevé. À titre d’exemple, une usine de pâte de l’entreprise Aracruz du Brésil avait coûté un milliard de dollars en 2000, tandis qu’aujourd’hui, la nouvelle usine de pâte que Suzano compte inaugurer dans la région de Maranhão à la fin de cette année aura coûté trois milliards de dollars. Plusieurs facteurs interviennent dans l’augmentation du coût des investissements : le prix de la terre a augmenté avec l’accélération de la spéculation due à l’accaparement croissant de terres pour la réalisation de « grands » projets (agriculture industrielle, extraction minière, grands barrages) ; les machines, comme celles qu’on utilise pour la fabrication de pâte à papier, sont de plus en plus sophistiquées et productives, incluent davantage de technologie, et sont donc plus chères. Dans le cas mentionné, la plupart du capital initial pour ces investissements milliardaires provient des impôts que le peuple brésilien a payés et qui ont été canalisés vers l’entreprise par l’intermédiaire de la banque publique BNDES. Or, le peuple en bénéficie très peu. Les communautés rurales brésiliennes perdent leurs territoires et les premiers à faire les frais de n’importe quelle crise économique et financière sont les travailleurs des entreprises, qui gagnent peu et travaillent de plus en plus, qui passent au régime de sous-traitance et perdent des droits et des salaires. Les principaux bénéficiaires en sont sans doute les investisseurs, les actionnaires et les intermédiaires, grâce aux gains qui découlent de la production de bois pour la fabrication de pâte à papier d’exportation.

C’est dans ce cadre que fonctionne l’économie, en dénaturant même le caractère social de la retraite des travailleurs, transformée en fonds spéculatifs anonymes, sans transparence aucune, où les propres investisseurs ne savent ce qu’on fait avec leur argent ni ce qu’ils sont en train de financer. À l’autre bout se trouvent les communautés et les travailleurs des plantations et des usines de pâte, pour lesquels la tendance croissante à l’investissement forestier en quête de sécurité impliquera probablement plus de répression et de persécution pour protéger, coûte que coûte, les bénéfices d’investisseurs anonymes et lointains.

Un nouveau champ de bataille est ouvert pour lutter contre les institutions financières, non seulement celles qui sont connues mais aussi cette série de nouveaux fonds financiers de toutes sortes. Il faudra de nouvelles stratégies et de nouvelles alliances pour que la vie passe avant l’argent, et non l’inverse.

Sources :
1) Investments in timberland: investors’ strategies and economic perspective in Brazil; Bruno Kanieski da Silva, Piracicaba 2013.
2) “Agentes Empresariales del Agronegocio, Uruguay Informe 2012”, Redes Amigos de la Tierra y Uruguay Sustentable, http://www.redes.org.uy/wp-content/uploads/2013/03/Agentes-Agronegocio-Baja.pdf.
3) “La Inversión Extranjera Directa en América Latina y el Caribe”, CEPAL,http://www.cepal.org/publicaciones/xml/5/49845/LaInversionExtranjeraDirectaDocIinf2012.pdf.
4) “Una panorámica de las plantaciones industriales de árboles en países del Sur. Conflictos, tendencias y luchas de resistencia”, Winfridus Overbeek (WRM), Markus Kröger (Université de Helsinki) et Julien-François Gerber, juin 2012, http://www.wrm.org.uy/publications/ejolt.html 
5) Financing forest plantations in Latin America: Government incentives, Kari Keipi, FAO,www.fao.org/docrep/w3247e/w3247e0b.htm.
6) 2012 Study on Forest Financing, Advisory Group on Finance Collaborative Partnership on Forests, juin 2012, http://www.un.org/esa/forests/pdf/AGF_Study_July_2012.pdf.
7) “Financing sustainable forest management”, Marco Boscolo, Adrian Whiteman du Service des politiques forestières de la FAO, Herman Savenije et Kees van Dijk, http://www.fao.org/forestry/16559-0325ac13168b9c3d84d0279e2f8adc798.pdf.
8) “Five minutes with Andrew Steel”, PE Asia Perspective, http://www.facebook.com/permalink.php?id=160084030748846&story_fbid=326790394078208.