Forcés de fuir : la destruction du mode de vie des Ayoreo et leurs terres aux mains des éleveurs de bétail

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Les indiens Ayoreo protestent contre l'inaction du gouvernement face à la déforestation illégale. © GAT

Le Paraguay vient d'accueillir une réunion pour le moins inhabituelle. Des experts venus de Bolivie, du Brésil, d'Équateur, de Colombie et du Pérou se sont réunis le 28 juillet dernier pour discuter de la situation critique que représente l'observation de plus en plus fréquente de membres de populations autochtones isolées et des conséquences de ces contacts.

L'ironie est que cette réunion, à l'invitation de plusieurs organisations de coopération et de défense des droits des populations autochtones, s'est tenue dans un pays qui n'applique pas, et fait souvent preuve d'un mépris flagrant par rapport au Droit international (1) et aux Recommandations pour la protection des populations autochtones en situation d'isolement et de premier contact (2), que le pays s'est pourtant engagé à respecter suite à sa consultation avec le Haut Commissariat aux Droits de l'homme des Nations Unies.

Tout cela malgré le fait que le Chaco paraguayen accueille la toute dernière population autochtone sans contact avec le monde extérieur en dehors de l'Amazonie, les Ayoreo-Totobiegosodes (3), un peuple de chasseurs-cueilleurs nomades qui considèrent cette région comme leurs terres ancestrales et la protègent depuis d'innombrables générations.

À contre-courant, les propriétaires terriens et les entreprises poursuivent la destruction des forêts, principalement financée par des capitaux étrangers, et déboisent illégalement les terres pour faire place à des élevages de bétail. L'État reste spectateur, souvent indifférent si ce n'est complice (4) de cette destruction, même s'il doit théoriquement protéger la vie et les terres des populations qui fuient les bulldozers et s'abritent dans les derniers refuges de la forêt qu'eux-mêmes et leurs ancêtres habitent depuis des siècles.

La déforestation et la maladie : un double fléau

Ni la situation de fuite forcée qui a obligé les peuples autochtones isolés à avoir des interactions avec le monde extérieur, ni les dangers auxquels eux-mêmes et toutes les parties prenantes sont confrontés, ne pourront être évités si l'État qui est responsable de leur bien-être ne passe pas réellement des paroles aux actes. Si leurs terres ne sont pas immédiatement protégées, de fait, les Ayoreo-Totobiegosodes, dont le nom signifie « gens du lieu des cochons sauvages » qui survivent encore grâce à leur isolement par rapport au monde extérieur, seront confrontés à une situation catastrophique.

Il s'agit de l'une des sociétés les plus vulnérables au niveau mondial (5), et c'est peut-être pour cette raison que dans les recommandations de l'ONU, notamment la Convention 169 et le commentaire du Rapporteur spécial sur les droits des populations autochtones (6), le principe de l'intangibilité de leur territoire, et les critères utilisés à la place de la propriété pour établir leurs limites, ne sont pas compris comme des lubies mais comme la clé de leur survie.

La plupart des membres des Ayoero contactés, vivant dans des communautés sédentaires, revendiquent en collaboration avec Survival International depuis plus de vingt ans la propriété de leurs terres, soit 500 000 hectares qui leur appartiennent, ainsi qu'aux membres de leurs familles isolées, actuellement menacés par les exploitations agricoles et les élevages de bétail. Ce sont les propriétaires légitimes des terres mais ces dernières restent sous le contrôle d'entreprises étrangères.

La poursuite de l'expansion de ces entreprises, parmi lesquelles Itapotí S.A., Yaguareté Porã ou la filiale du Grupo San José, dirigée par la Carlos Casado SA, a abouti à un rythme de déforestation sans précédent au niveau mondial, selon une étude de l'Université du Maryland (7). La destruction de la forêt s'accompagne de la violation du droit le plus fondamental de tous : le droit à la vie des Ayoreo, qui dépendent des forêts pour leur survie.

La progression de la déforestation dans le Chaco paraguayen entre 1990 et 2013.
Selon une étude, la région présente le taux de déforestation le plus rapide au monde.
©Survival International

« Après notre premier contact [avec le monde extérieur] en 1986, beaucoup de gens sont morts, notamment ma mère. Nous ne voulons pas que cela se reproduise », a déclaré une femme Ayoreo devant un ministre en 2014. Un nombre inconnu de membres de la population autochtone Ayoreo récemment contactés souffrent actuellement de maladies respiratoires, comme la tuberculose, contre lesquelles ils ne disposent d'aucune immunité. Cela tient à l'activité des personnes qui s'approprient leurs terres et leurs ressources et aussi aux conséquences de leur premier contact. Beaucoup souffrent de ces problèmes de santé et d'autres maladies apportées par les employés des entreprises ou d'autres personnes provenant des régions alentours, qui menacent la survie de la population.

Parojnai Picanerai, Ibore Picanerai, et bien d'autres personnes (8) témoignent de l'hécatombe entraînée par le « contact forcé », de nombreuses morts qui auraient pu être évitées si la reconnaissance de leurs droits fonciers étaient garantie.

Les ravages de la « bête à la peau de métal »

Avant le contact initial, Esoi, membre de la population autochtone isolée des Ayoeros, a remarqué que tous les potagers et les zones de chasse de toute sa communauté, commençaient à être encerclés. La population a été forcée de quitter sa forêt en 2004. Comme de nombreux Ayoreo continuent à le faire, il a tenté de résister à la colonisation en s'attaquant à une pelleteuse, qu'il considérait comme « une bête à la peau de métal ». « Je croyais avoir entendu des tirs (...) J'ai regardé autour de moi mais nous étions tous vivants. Ensuite je me suis rendu compte que c'était le bruit des arbres qui étaient en train d'être coupés par le bulldozer », a-t-il témoigné. La menace qui préoccupait Esoi s'est avérée bien réelle et est encore particulièrement active.

Plusieurs entreprises ont été découvertes en flagrant délit (9) sur des images satellites en train de construire des routes et des infrastructures dans la zone territoriale revendiquée par les Ayoreo. Même si cette situation a été dénoncée d'innombrables fois et de différentes manières, notamment par le récent cri d'alarme lancé aux Nations Unies (10), le système judiciaire paraguayen, faible et corrompu, a été incapable d'empêcher les futures invasions des terres et de les rendre à leurs propriétaires autochtones, malgré l'obligation de le faire prévue par la Constitution.

La société Itapotí SA a illégalement et à plusieurs reprises envahi les terres Ayoreo (11). En avril 2015, une équipe du gouvernement a confirmé que la compagnie exerçait encore ses activités sur des terres dont les titres ont été donnés aux Ayoreo en 1997 et 2004. Néanmoins, aucune inculpation n'a été prononcée contre la société, détenue par Nelly Estela Martinez et Mercedes Viviana Gonzalez, qui continue à exercer ses activités en toute impunité sur 15 000 hectares de terres appartenant aux Ayoreo.

Yaguareté Pora SA, détenue par Marcelo Bastos Ferraz, occupe actuellement 78 549 hectares de terres Ayoreo, dont des milliers d'hectares ont été défrichés illégalement par les employés de l'entreprise. Il y a tout juste un an, l'éleveur brésilien a rejeté la requête désespérée des Ayoreo qui demandaient l'arrêt de la destruction à grande échelle de leurs forêts (12), considérée comme un site de patrimoine naturel par l'UNESCO. Des images satellites prises le 27 juin de cette année montrent comment, malgré l'absence de permis environnemental, la déforestation se poursuit rapidement pour faire de la place à des exploitations bovines. Pendant des années, des campagnes de sensibilisation ont été menées pour que Ferraz rende leurs terres aux Ayoreo, mais il persiste dans son refus.

 
Dernières images satellites de la déforestation illégale menée par Yaguarete Porã
sur les terres ancestrales des Ayoreo.
Datées du 27 juin 2015 © GAT

La société de culture et d'élevage Carlos Casado SA (13), filiale du groupe espagnol San José présidée par Jacinto Rey González, possède 36 000 hectares au cœur des terres ancestrales des Ayoreos. En août 2012, le gouvernement a confirmé à l'organisation du peuple Ayoreo, l'OPIT, que l'entreprise avait démarré la construction d'une route et d'une réserve sans le permis requis pour le faire. Suite à cette réaction, Carlos Casado S.A. a écrit au gouvernement pour proposer la vente des terres et des droits fonciers correspondants au profit des Ayoreo. Mais en dépit de la pression exercée par les Ayoreo eux-mêmes (14) exigeant que leurs terres leur soient rendues, l'entreprise reste silencieuse et inactive.

Cette expropriation représente une catastrophe pour les Ayoreo sédentaires qui est évidente non seulement dans la violation de leurs droits territoriaux, car elle équivaut à un accaparement de leurs moyens d'existence et de subsistance,  mais aussi dans les tentatives visant à les priver de leur dignité. En effet, ceux qui perdent leurs terres n'ont souvent d'autre choix que de devenir les ouvriers agricolesdes éleveurs qui occupent leurs terres pour élever du bétail. « Nous voulons continuer à utiliser la forêt, et nous voulons que les agriculteurs cessent de harceler nos proches qui vivent toujours là-bas », a expliqué un représentant Ayoreo en réponse à la situation.

Les meilleurs gardiens de l'environnement naturel

Pendant des décennies, nous avons pu voir que contrairement aux entreprises, qui procèdent à la destruction des écosystèmes du Chaco paraguayen, les Ayoreos sont les meilleurs garants de la préservation de l'environnement avec lequel ils coexistent. Pour preuve, les terres habitées par les Ayoreo figurent parmi les toutes dernières terres forestières de la région.

Le soutien à la lutte des Ayoreo pour leurs terres et leur mode de vie a fait des progrès, notamment avec la récente protection attribuée à 150 000 hectares de terres qu'ils s'efforcent de préserver en utilisant leurs connaissances traditionnelles et la relation étroite qu'ils ont nouée avec l'environnement local. Cependant, de nombreux défis restent à venir, qui ne pourront être résolus que si une pression concertée au niveau international est exercée sur l'État paraguayen pour qu'il assume ses responsabilités et pour sensibiliser la société au sens large sur l'importance de reconnaître et de protéger les terres des Ayoreo. Ceci, à son tour, jouera un rôle important dans la protection de notre avenir collectif en tant qu'êtres humains.

Rejoignez la campagne pour la reconnaissance du territoire Ayoreo en envoyant un message au Procureur général du Paraguay :
http://us1.campaign-archive2.com/?u=b14580b05b832fb959c4ee444&id=6862cfb39d&e=6665240795

Hilda Pérez, @survivalesp
Survival International, mouvement mondial pour les droits des peuples indigènes et tribaux,www.survival.es

* Pour plus d'informations sur les peuples autochtones en situation d'isolement, voir le Bulletin 194 du WRM

  1. http://www.ilo.org/indigenous/Conventions/no169/lang--es/index.htm
  2. http://acnudh.org/wp-content/uploads/2012/03/Final-version-Guidelines-on-isolated-indigenous-peoples-february-2012.pdf
  3. http://www.survival.es/indigenas/ayoreo
  4. http://www.survival.es/noticias/10763
  5. http://www.indigenasaislados.org/
  6. http://www.survival.es/noticias/10607
  7. http://earthenginepartners.appspot.com/science-2013-global-forest
  8. http://www.survival.es/noticias/10151
  9. http://www.survival.es/noticias/7384
  10. http://www.survival.es/noticias/10838
  11. http://www.survival.es/noticias/10555
  12. http://www.survival.es/noticias/9975
  13. http://www.survival.es/noticias/8608
  14. http://www.survival.es/noticias/10033