Indonésie: la politique gouvernementale en matière d’huile de palme

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En analysant l’évolution de la législation indonésienne en matière de plantations, il est possible d’identifier cinq étapes en ce qui concerne l’huile de palme. Nous les appellerons l’étape PIR-Trans (jusqu’en octobre 1995), l’étape de la déréglementation (1995-1996), l’étape de la privatisation (1996-1998), l’étape des coopératives (1998-2002) et l’actuelle étape de décentralisation (2002-2006). Il convient de signaler que ces étapes n’ont pas été entièrement discrètes et que le début d’une nouvelle étape n’a pas impliqué la fin des processus antérieurs.

L’étape PIR-Trans. Avant octobre 1993, les efforts du gouvernement pour établir des plantations de palmier à huile consistaient à prendre des zones boisées des îles extérieures et à les attribuer à des opérateurs de PTPN [entreprise étatique de plantation], lesquels contrôlaient aussi bien des établissements inti [exploitation à grande échelle sur de grandes étendues] que des établissements plasma [établissements exploités par des petits propriétaires]. Les petits propriétaires et la main-d’œuvre étaient fournis par le Programme de Transmigration. En 1986 et 1990, des lois ont été approuvées pour améliorer la coordination entre les organismes gouvernementaux et accélérer les démarches d’obtention des permis nécessaires pour pouvoir transformer des terres boisées. Le contrôle des forêts restait centralisé dans les bureaux forestiers régionaux (Kanwil Kehutanan), qui étaient autorisés à destiner à des plantations un maximum de 100 ha.

Pendant cette période, les droits fonciers coutumiers des communautés n’ont pas souvent été reconnus. Les autochtones étaient plutôt insérés dans les plans de Transmigration, en les réinstallant soit dans des villages de migrants composés de gens du pays (Translok), soit dans des villages mixtes (Transmigrasi sisipan) où il y avait des gens du pays et des migrants venus de Java, Madura et Bali, avec l’aide de l’État. La plupart des plans PIR-Trans accordaient 2 hectares seulement à chaque famille, qui était censée planter la moitié de riz et l’autre moitié de palmier à huile pour approvisionner les usines établies autour de la propriété mère. Les migrants se plaignaient de la mauvaise qualité des logements, du faible prix payé pour les régimes frais de fruits de palmier frais et des retards dans le paiement des salaires, le remboursement des dettes et le transfert des titres de propriété.

L’étape de la déréglementation. En octobre 1993, deux lois ont été approuvées dans le cadre de la Politique nationale de déréglementation, dont l’objectif principal était de donner aux gouverneurs locaux davantage d’autorité pour promouvoir le développement régional, tout en veillant à ce que les entreprises privées prennent des engagements de longue durée dans les zones dans lesquelles elles investissaient. En vertu de ces lois, les gouverneurs pouvaient délivrer des permis pour la conversion de zones boisées de jusqu’à 200 hectares, tandis que celles qui dépassaient les 200 hectares restaient sous la responsabilité de la Direction générale de l’agriculture étatique, à Jakarta. Les entreprises privées qui demandaient des permis de conversion des forêts n’étaient pas autorisées à transférer la propriété des contrats ainsi obtenus.

L’étape de la privatisation. Pendant les dernières années de la dictature de Suharto, il y a eu un mouvement concerté à travers plusieurs secteurs, y compris les plantations étatiques, pour privatiser les entreprises paraétatiques, encourager les initiatives du secteur privé et faciliter l’investissement direct étranger. Plusieurs lois ont été approuvées pour accélérer ainsi le développement des plantations étatiques et faire en sorte que les compagnies aient toutes les mêmes opportunités. Les démarches que ces dernières devaient faire pour obtenir des permis d’exploitation ont été clarifiées : d’abord un permis temporaire d’un an pour le démarrage (ijin prinsip), qui pouvait être transformé en permis permanent (ijin tetap) auquel il était possible d’ajouter un permis d’expansion (ijin perluasan). Les entreprises qui pensaient convertir des forêts devaient d’abord obtenir le consentement des entreprises forestières concernées qui avaient des permis d’exploitation (HPH) sur les mêmes zones. Une nouvelle loi a stipulé aussi que les forêts défrichées et plantées de plantations étatiques devaient être classés comme terres agricoles mais sans que cela implique le droit à un permis de plantation.

L’étape des coopératives. La chute du régime Suharto a donné lieu à une période de réformes (reformasi) grâce à laquelle les politiciens qui avaient des idées différentes sur le développement rural ont gagné temporairement du pouvoir. Il y a eu des efforts pour encourager des méthodes de développement permettant aux communautés locales de tirer des avantages plus directs de la terre et des ressources naturelles. Tandis qu’une loi a été approuvée qui interdisait la transformation des forêts en forêts protégées (hutan lindung), pour harmoniser les procédures d’aménagement du territoire local et régional, un décret a autorisé la délivrance de permis de plantation sur trois ans (ijin usaha perkebunan) à des coopératives, qui étaient délivrés par les gouverneurs provinciaux dans le cas d’étendues de jusqu’à 1 000 hectares et par le ministère central des Forêts et des Plantations étatiques dans le cas d’étendues de jusqu’à 20 000 hectares.

L’étape de décentralisation. La chute de Suharto a été suivie aussi d’un changement politique radical en Indonésie. Les législatures et les gouvernements locaux ont bénéficié de beaucoup plus de pouvoir pour contrôler les terres et les ressources et pour administrer les budgets régionaux. Depuis 2002, ces changements ont eu de l’incidence sur le développement du secteur de l’huile de palme, tout en limitant pour les autorités locales la possibilité d’encourager les plantations de dimensions moyennes. Une nouvelle loi permet aux autorités du district (bupati) de délivrer des permis concernant jusqu’à 1 000 hectares, tandis que dans les cas des terres qui dépassent les frontières du district la responsabilité revient aux gouverneurs provinciaux. Néanmoins, le ministère de l’Agriculture peut délivrer des permis pour des exploitations de plus de 1 000 hectares. En outre, en réponse aux inquiétudes concernant la rapidité avec laquelle on défrichait les forêts pour établir des plantations, alors qu’il y avait des vastes étendues de terre dégradées disponibles, en 2005 le gouvernement a approuvé une autre loi qui établit un moratoire sur la conversion des forêts en plantations étatiques.

Ce moratoire a été adopté à la suite de la signature d’un protocole d’accord entre le gouvernement de l’Indonésie et le FMI ; pourtant, il n’a pas été précisé pendant combien de temps il devait être maintenu, ni s’il interdisait la conversion des forêts ou le changement de statut des forêts pour permettre la plantation. En février 2005, le ministère des Forêts a adressé deux circulaires contradictoires au gouvernement local. L’une disait que le moratoire était toujours en vigueur, tandis que l’autre disait que, en vue d’optimiser l’utilisation des terres boisées comme plantations étatiques, le ministère allait évaluer les propositions de conversion. Des contradictions du même genre peuvent être détectées dans la réponse du ministère à la proposition d’établir une plantation de palmier à huile de 1 800 hectares au cœur de Bornéo.

Extrait de : “Promised Land: Palm Oil and Land Acquisition in Indonesia - Implications for Local Communities and Indigenous Peoples”, Forest Peoples Programme, Sawit Watch, HuMa et World Agroforestry Centre, http://www.sawitwatch.or.id/images/Publikasi/Land%20Acquisition%20(English).pdf.