PETAR sans concession: lutter contre la privatisation est un combat de femmes au Brésil

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Nous avons écrit ce texte à plusieurs mains, à partir de conversations et d´appréciations de femmes qui sont installées dans le territoire de la Vallée du Ribeira – située entre les régions du sud-est et du sud du Brésil - et qui se sont engagées dans la lutte contre la concession (1) d'un des parcs les plus importants de la région, le Parc Touristique d'État Alto Ribeira (PETAR). Le parc, qui est situé dans les municipalités d'Iporanga et Apiaí, est actuellement géré par le Gouvernement de l'État de São Paulo et a été inséré dans un plan de concessions - avec d'autres unités de conservation - permettant aux entreprises privées (nationales ou internationales) d´obtenir le droit d'exploiter commercialement la partie du territoire où se concentrent les plus grandes attractions touristiques.

La Vallée du Ribeira est la région du Brésil qui abrite la plus grande partie du biome de la Forêt Atlantique, préservée à raison de 70 %. Alors que ce biome a été détruit en grande partie dans le reste du pays par des méga-investissements et par la spéculation immobilière, à la Vallée du Ribeira, la relation rapprochée avec la forêt et sa protection, pratiquées par les communautés de la région, ont contribué à sa préservation. Nonobstant, depuis le siècle dernier, la politique de conservation conçue pour abriter cette biodiversité est une politique «sans personnes» qui a été à l´origine de nombreux parcs et unités de conservation restreignant les modes de vie des communautés (2) du territoire. Ce n'est que récemment, grâce à la lutte entreprise par ces communautés, que certaines zones ont commencé à être comprises comme des zones appelées Unités d'Usage Durable. Ces unités font partie du dispositif du Système National des Unités de Conservation du Brésil, qui sont soumises à un régime qui tolère la présence des communautés sur les territoires. Or, ceci ne se vérifie pas tout à fait dans la pratique, car même dans ces lieux, il existe de nombreux conflits entre les modes de vie en place et les règles des Unités de Conservation. En règle générale, la manière dont les problèmes environnementaux et fonciers sont résolus à la Vallée du Ribeira est toujours, au départ, l'expulsion - forcée ou due à l´épuisement - des communautés qui y vivent.

Les acquis résultant de cette lutte, dans le sens de la mise en place de zones d'utilisation durable plus nombreuses - où l'agriculture peut être pratiquée de manière traditionnelle, même si une autorisation est nécessaire - ont permis aux communautés de rester sur le territoire, mais leur véritable requête a toujours été la régularisation foncière. Même si elles vivent sur ces territoires depuis des siècles, les terres de ces communautés ne sont pas, dans leur grande majorité, délimitées ou elles n´en possèdent pas les titres de propriété, ce qui provoque une grande insécurité. Depuis que les nouvelles politiques de numérisation de l'aménagement du territoire – à l´image du Registre Environnemental Rural (CAR) (3) - sont mises en œuvre au Brésil, les conflits fonciers s´aggravent. En d'autres termes, les communautés se battent toujours pour leur droit à la terre, outre qu´elles doivent faire face à d´autres conflits, notamment, celui de la politique environnementale, surtout dans les parcs.

Privatiser la concession durant 30 ans: déplacements, insécurité et gentrification

C'est le cas des communautés quilombola et cabocla de la municipalité d'Iporanga qui ont été recouvertes par le Parc Touristique d'État Alto Ribeira (PETAR). Ana Ercilia - habitante d'Iporanga depuis son enfance, surveillante environnementale et engagée dans la lutte contre la concession du parc au secteur privé - raconte qu'en 1958, au moment de la création du parc, les habitants du territoire croyaient que ce serait un parc de divertissement. Cet exemple illustre bien le manque de dialogue et de transparence entre le gouvernement et les communautés. Après un certain temps, les communautés ont commencé à saisir la véritable nature du parc qui s´était installé sur le territoire, à commencer par les restrictions d'accès aux services tels que l'électricité, et lorsque les membres des communautés se sont vus empêchés de rénover et ou d'effectuer des travaux dans leurs propres maisons et arrière-cours. Depuis lors, s´est installée une lutte pour le recul de la surface du PETAR sur le Bairro da Serra [Quartier de la Serra], un endroit qui a été "coupé en deux" lors de la création du parc, une grande partie du territoire du quartier étant resté à l'intérieur du parc. Le Bairro da Serra abrite à la fois des communautés traditionnelles et des anciens habitants d'Iporanga, tout en accueillant un important patrimoine historique et culturel de la Vallée du Ribeira. La lutte des habitants, par le biais de leur association, a débouché sur un accord qui a repoussé les limites du parc, de sorte que les maisons des habitants se sont retrouvées en dehors de la zone de restriction. Cependant, champs d'essartage sont restés dans la zone de l'unité de conservation, ce qui a fortement restreint les modes de vie et a fait du travail touristique l´unique source de revenu des familles.

La séparation a eu lieu, mais pas la régularisation foncière de la communauté du Bairro da Serra. Aujourd'hui, plusieurs familles ont été déplacées à travers le parc vers ce quartier, qui se trouve dans la zone tampon - la zone qui entoure le parc - de PETAR, mais le déplacement n'a pas été accompagné du titre foncier. Les familles n'ont qu'un droit de permanence temporaire, ce qui ne leur assure pas que le parc ne voudra pas les réinstaller ailleurs un jour. (4) Cette situation est particulièrement difficile pour les femmes, qui concentrent leur activité dans leur propre arrière-cour et tirent l'essentiel de leurs moyens de subsistance de ce même lieu et des diverses initiatives commerciales locales.

Actuellement, les collectivités font face à une nouvelle offensive sur leur territoire. Le gouvernement de l'État de São Paulo, fort de sa politique de privatisation, a ouvert un appel d´offres international pour la concession d'une région du parc - où se concentrent les principales attractions touristiques du parc – d´une durée de 30 ans. Cette ouverture de la concession a eu lieu du milieu à la fin de 2021, déjà en pleine pandémie, et sans aucune consultation publique. Depuis, un large mouvement de résistance contre la concession du parc s'est amorcé.

La lutte contre la concession est organisée et englobe les habitants, les peuples et les communautés, les chercheurs, les militants et les sympathisants en général. Les femmes occupent une place importante dans cette résistance et, à travers leur auto-organisation, elles démontrent qu'elles sont particulièrement impactées lorsque le gouvernement choisit de renforcer les partenariats public-privé de cette manière. La question de la régularisation foncière, par exemple, est complètement ignorée dans ce processus. Qu'une entreprise privée puisse littéralement posséder le territoire durant 30 ans et que les familles, et surtout les femmes, ne soient toujours pas dans l´assurance de posséder leurs terres est une aberration qui met à nu les réelles intentions de l'État avec cette concession, bien distantes, malgré ce que l´on prétend, de la promotion d´améliorations dans la qualité de vie des communautés.

Bien que le parc ait été imposé aux communautés dans les années 1950, au fil du temps elles s´en sont appropriées comme elles l´ont pu. L'une des principales sources de revenus dont disposent aujourd'hui les habitants, malgré l´intense restriction des modes de vie, est celle qui provient du tourisme de base communautaire, organisé de manière autonome, dans le travail de moniteurs environnementaux. Il y a aujourd'hui 250 moniteurs enregistrés auprès de PETAR et quiconque le visite engage généralement ces moniteurs, obligatoires en cas de visite des grottes. Ces moniteurs sont des résidents des communautés et, outre présenter les attractions du parc, ils racontent l'histoire de la Vallée du Ribeira et des communautés où ils vivent. L'organisation du travail des moniteurs en tant que travail rémunéré a fait partie des négociations entre le gouvernement de l'État et les communautés, en guise de revenu alternatif face aux restrictions d'utilisation du territoire et des pratiques habituelles, devenues dès lors des crimes environnementaux. L'une des libérations proposées par l´appel d´offres à la privatisation est que les touristes puissent faire des visites autoguidées dans le parc, ce qui rendrait encore plus difficile pour les moniteurs de l'environnement d´avoir accès à un revenu, car ils ne deviendraient plus, alors, indispensables au tourisme.

Avec la concession, le protagonisme dans le domaine du tourisme cesse d'appartenir aux communautés – notamment les femmes, qui gèrent les différents petits commerces autour du parc – et se voit transféré à la société concessionnaire. Le plan de concession prévoit, par exemple, d'augmenter fortement la fréquentation annuelle du parc, de créer des sentiers pour les véhicules et de diffuser de nouvelles attractions. Les femmes qui luttent contre la concession soutiennent que le gouvernement, par le biais de ces initiatives, voudrait imposer un autre modèle de tourisme sur le territoire: au lieu de connaître les communautés à travers les guides locaux - qui sont également une source de connaissance sur les modes de vie locaux – viendrait s´installer un tourisme organisé par des entreprises qui devrait privilégier l'embauche de guides bilingues, par exemple, au lieu de ceux de la communauté locale.

Dans ce nouveau forfait touristique, "le flux du gagne-pain" qui a été un modèle d'économie construit par la communauté au fil du temps, se voit démantelé et celle-ci se voit réduite à une attraction touristique de plus. Cette nouvelle tendance extrêmement colonialiste s'est aggravée lors du gouvernement néolibéral de l'État de São Paulo, qui met en œuvre un programme de développement nommé «Vallée du Futur». Outre les communautés installées autour de PETAR, d´autres ont été classées comme attractions touristiques par ce programme, notamment par la mise en place de panneaux de signalisation sur les routes, sans aucune concertation ni dialogue préalable avec les communautés à ce sujet. C´est ainsi que la communauté devient, au fil du temps, étrangère à son propre territoire. La gentrification qui devrait se produire, par exemple, par la construction d'hôtels et d´une augmentation du prix de l´entrée - actions prévues dans le processus de concession – pourrait même rendre le parc inaccessible aux personnes des communautés, celles qui justement le connaissent et l´apprécient en profondeur.

La conséquence en est qu´au lieu de valoriser la communauté et d´inciter à la création d'alternatives économiques qui pourraient la bénéficier, ses membres sont de plus en plus mis en marge du territoire et contraints de migrer vers la périphérie des grandes villes environnantes, une tendance que nous pouvons déjà observer, notamment chez les jeunes, qui ont tendance à ne plus rester sur le territoire. De surplus, une inquiétude plane sur ceux qui restent, celle de l'augmentation des violences sexuelles et de l'objectification du corps des femmes face à l´augmentation significative des hommes venant de l'extérieur. La concession du parc ne présente pas non plus, en guise de contrepartie, une quelconque amélioration des politiques publiques au service de la communauté. Comme la concession, si elle a lieu, durera 30 ans, les femmes s´inquiètent particulièrement pour leurs jeunes enfants qui passeront leur enfance, leur adolescence et leur vie d'adulte dans ce territoire privatisé.

Cette privatisation intervient en parallèle aux avancées du projet «Vallée du Futur» dans la Vallée du Ribeira, ce qui soulève également des doutes sur la manière dont le territoire pourrait être exploré. L´un des principaux objectifs de ce projet de développement est l'ouverture de la région à l'exploitation minière, alors que toute la région d'Iporanga, y compris la zone du PETAR,  a déjà connu l'exploitation minière précédemment. Sachant que le processus de concession prévoit l'utilisation et l'exploitation du territoire, cela laisse présumer que l'exploitation minière pourrait revenir dans certains points du territoire, y compris au sein du PETAR, après tout, comme le prétendent les femmes, dans ces projets « tout est connecté et relié».

Sur le plan juridique, il est possible d´affirmer que tout ce processus s'est déroulé sur la base d'approbations opaques, à l´insu des partis prenantes, sans aucune participation des communautés directement concernées, notamment avec l'État utilisant des documents d'autres réunions (procès-verbaux, photos) et prétendant qu´il s´agirait de concessions, où la communauté aurait été consultée. En raison de la pandémie, les précautions sanitaires sont devenues un alibi pour ne pas organiser de grandes consultations publiques. Ce qui se passe, en pratique, c'est que les audiences sont vidées à bon escient car proposées en ligne ou en présentiel dans la capitale de l'État, dans un contexte où les habitants n'ont ni accès à internet ni de ressources pour se déplacer. Les actions - dans l´appel d´offres public – qui devront être développées par l'entreprise qui remportera la concession, prévoient des activités qui vont à l'encontre du Plan de Gestion du Parc, ce qui met à nu le racisme environnemental lié à la privatisation: quand il s'agit d´aider les entreprises à faire progresser leurs affaires, il n´est pas nécessaire de tenir compte des études d'impact environnemental. Nonobstant et malgré tout, la voie entreprise de conduction de la concession, ne respectant pas le droit des communautés traditionnelles à une consultation préalable, libre et éclairée (Convention 169 de l'OIT), a été comprise par le pouvoir judiciaire comme régulière, ce qui a accéléré le processus, malgré ces irrégularités.

Dans une offensive encore plus intense que celle du Gouvernement de l'État de João Doria à São Paulo, le Gouvernement Fédéral de Jair Bolsonaro a lancé le 7 février 2022 un décret de concession/privatisation de cinq Unités de Conservation. L'une d'elles, le Parc National de la Serra da Canastra, créé durant la dictature militaire et recouvrant des zones où vivent 1,5 millier de familles de producteurs ruraux, dont 43 communautés et 550 familles traditionnelles, reconnues comme canastreiros.

Les femmes s'autoorganisent et résistent

Quand personne n'est entendu et encore moins les femmes. Si les espaces de participation sont rares, ils ne sont généralement destinés qu'à quelques leaders – en général des hommes – qui, en raison de la structure patriarcale des communautés elles-mêmes, n´exposent pas, dans le débat public, les perceptions, les arguments et les préoccupations des femmes. Cet aspect, allié au manque de respect avec lequel l'État aborde la question de la participation, a fait en sorte que les femmes ont fini par s´unir dans leur propre collectif où elles organisent la lutte contre la concession à partir de leur autoorganisation. Outre qu´elles viennent grossir la résistance par la pluralité de leurs voix, les espaces autoorganisés des femmes jouent également un rôle important en tant que formes d´auto prise en charge contre le harcèlement que l'État est en train de promouvoir tout au long du processus et qui est à l´origine de maladies mentales et émotionnelles parmi les membres des communautés.

Ce qui devient flagrant c'est que les formes de conservation « vidées de personnes »,  adoptées comme modèle et ayant dicté la politique environnementale de nombreux pays, dont le Brésil, pendant des décennies, se révèlent très efficaces pour le capital dans la période historique actuelle d'expansion de ses frontières. En créant des territoires sans hommes, l´on crée aussi des territoires sans résistance, où des projets de privatisation à l´image de la concession PETAR peuvent se développer sans entraves. Il nous semble que la lutte contre la concession sera victorieuse, dans ce cas précis, parce que les communautés d'Iporanga n'ont jamais accepté le fait de ne pas posséder leur propre territoire, et au fil du temps, puisque l'imposition du parc était une réalité qu'elles ne pouvaient pas changer, les communautés s´en sont fait de plus en plus propriétaires, s'appropriant des moyens de vivre et de créer dans cet environnement, sans toutefois se dérober aux luttes et aux conflits encore latents, comme celle de l´absence de titres fonciers.

Ce n'est pas par hasard que l'État envisage, dans le plan de concession, de fermer l'un des accès au parc par la municipalité d'Iporanga, bien que cette entrée facilite grandement la visite d'une des grottes les plus en vue du parc. Il s'agit là d'une tentative d'exclusion des communautés les plus résistantes, leur rendant impossible l'accès au parc et les empêchant de travailler comme moniteurs environnementaux. Cela nous rappelle que l'histoire de la Vallée du Ribeira est bien celle de l'effacement des chemins tracés par les communautés traditionnelles et la construction de chemins qui privilégient le flux du capital, la BR 116 - une autoroute majeure, responsable d'une grande partie du flux de marchandises en provenance de la région du sud-est, qui coupe en deux une bonne partie des municipalités de la Vallée du Ribeira – comme un élément emblématique de ce processus.

Ce que nous savons, c'est qu´en réalité les anciens chemins ne cessent jamais d'être empruntés, et que les anciens ont un souci particulier à rappeler aux plus jeunes où vont ces chemins, où ils sont et où ils finissent. Si le projet de privatisation entend faire sortir les communautés de leur territoire à partir d´une réarchitecture des chemins, il ne prend pas en compte la capacité de résistance et d'invention des peuples qui les ont tracés.  

Natalia Lobo et Miriam Nobre – SOF, Marche Mondiale des Femmes Brésil
Jessica Cristina Pires – Caiçara, quilombola, technicienne en agroécologie, représentante des communautés d'Iporanga, Collectif de femmes du PETAR, Mouvement Petar sans concession
Paula Daniel Fogaça - Biologue, Master en Développement Durable


(1) Pour soutenir la lutte des femmes organisées contre la privatisation du PETAR et suivre ce mouvement, accédez et signez la pétition en ligne.
(2) La vallée du Ribeira abrite une variété de communautés et de peuples traditionnels, tels que les indigènes Guarani Mbyá et Guarani Nandeva, communautés d´origine quilombola, caiçara et cabocla.
(3) Le Registre environnemental rural (CAR) est un outil créé par le nouveau code forestier du Brésil qui consiste en un registre numérique géoréférencé de l'ensemble du territoire rural du pays. Cet instrument, qui devrait servir à guider la mise en œuvre des politiques environnementales, a servi de document justifiant ce qu'on a appelé d´ «accaparement numérique des terres» dans de nombreux pays du Sud Global. En savoir plus.
(4) Pour plus d'informations sur l'histoire du Bairro da Serra et la relation entre les communautés traditionnelles d'Iporanga et du PETAR, voir «Forêts et luttes pour la reconnaissance : territoire, identités et droits dans la Forêt Atlantique Brésilienne» de Pedro Castelo Branco Silveira. Disponible ici.