À l’occasion du 21 septembre, la Journée internationale de lutte contre les monocultures d’arbres, ce bulletin présente des témoignages de mouvements et de communautés de différentes régions du monde qui résistent à ce type de monoculture et luttent pour défendre la vie. Il est essentiel de les écouter. Ces récits révèlent la réalité qui se cache derrière ces projets et lèvent le masque de la ‘durabilité’ que leurs promoteurs s’efforcent de construire. Leurs impacts quotidiens sur l’environnement, la culture et la vie de ces communautés, en particulier celle des femmes, ne laissent aucun doute : les monocultures d’arbres sont une composante du capitalisme patriarcal, raciste et colonial. (1)
En 2025, des sociétés européennes de monoculture d’hévéas et de palmiers à huile, comme Socfin (2), sont toujours implantées dans plusieurs pays africains, dans des zones d’où des communautés entières ont été expulsées. Elles continuent de priver les habitants de ces communautés de l’accès aux terres où ils cultivaient autrefois des aliments et récoltaient de l’huile de palme artisanale, des activités essentiellement féminines. Pour pouvoir cultiver le palmier à huile sur leur territoire ancestral, désormais clôturé et protégé par les services de sécurité de l’entreprise, les femmes sont contraintes par les employés de ces sociétés d’accepter des relations sexuelles. (3) Comment ne pas qualifier cela de capitalisme patriarcal, raciste et colonial ?
Suzano Papel e Celulose, la plus grande société mondiale du secteur (4), occupe 2,7 millions d’hectares au Brésil. Cette zone pourrait accueillir environ 100 000 familles paysannes dans le cadre de la Réforme agraire, mais elle est attribuée à une seule entreprise qui détruit l’environnement et concentre terres et argent. (5) De tels processus, impliquant l’expansion des sociétés, sont souvent marqués par l’accaparement des terres et l’expulsion des familles paysannes de ces terres. Les femmes vivant dans des zones où des conflits fonciers existent avec ces sociétés sont directement impactées par ces « déserts verts », qui tuent toute vie autour d’elles et assèchent sources et rivières à cause de leurs racines assoiffées. Elles sont notamment exposées à une charge de travail excessive, car elles doivent parcourir de plus longues distances pour trouver de l’eau et de la nourriture pour leurs familles et leurs communautés. C’est pourquoi les femmes du MST (Mouvement des travailleurs sans terre) ont dénoncé lors de leurs récentes manifestations que « Suzano sème la faim » (6). Sans parler des menaces qu’elles encourent pour avoir dénoncé et résisté. Comment ne pas qualifier cela de capitalisme patriarcal, raciste et colonial ?
L’impact de ces monocultures d’arbres étant particulièrement ressenti par les femmes, ce sont souvent elles qui dirigent les organisations communautaires et la défense de leurs territoires. (7) (8) Ce bulletin approfondit ce sujet en parcourant divers territoires disputés par les multinationales du palmier à huile, de l’hévéa et de l’eucalyptus. Il explore l’espace des communautés qui résistent aux plantations d’arbres en monoculture. Il présente les témoignages de celles et ceux qui ont vécu de près l’arrivée de ces sociétés et leurs impacts. Ces textes sont rédigés par des leaders communautaires et des mouvements organisés, toujours originaires de lieux où la lutte contre ce modèle d’extractivisme est intense et où les femmes se mobilisent pour défendre la nature comme source de vie et défendre leurs communautés.
L’article introductif nous aide à comprendre, à partir de faits, pourquoi les monocultures d’arbres sont colonialistes. Il offre un aperçu des initiatives et des accords d’investissement dans les monocultures d’arbres en Afrique, continent qui concentre actuellement la plus grande superficie mondiale de plantations d’arbres pour le marché carbone : 5,2 millions d’hectares. Le texte s’appuie, entre autres, sur des rapports de British International Investment et de la Banque africaine de développement, ainsi que du WWF Kenya. L’analyse du discours – et des ressources – présentés dans ces documents montre clairement à qui profitent les investissements de plusieurs millions de dollars prévus pour financer l’expansion des plantations d’arbres sur le continent africain : ce ne sont pas les communautés locales. Le parti pris colonialiste est flagrant dans ces rapports officiels, même s’ils sont remplis de soi-disant bonnes intentions.
Le deuxième article nous emmène en Indonésie. Les auteurs, membres du mouvement de résistance Forum des paysans du programme Plasma de Buol (FPPB), qui lutte contre la multinationale de l’huile de palme PT Hardaya Inti Plantations, nous racontent comment ils ont été trompés par de fausses promesses qui les ont conduits à accepter des partenariats avec des sociétés dans le cadre d’un programme baptisé « Plasma » par le gouvernement. Résultat : pénuries alimentaires, endettement et risques d’inondations provoqués par les monocultures de palmiers à huile, qui affectent particulièrement les femmes. Aujourd’hui, ils s’organisent pour affronter ce piège et lutter pour la récupération de leurs terres et de leur mode de vie traditionnel.
Des membres du mouvement Territoire de vie interethnique et interculturel de Cajibío (TEVIIC) en Colombie nous racontent dans le troisième article comment ils ont uni les peuples autochtones et les paysans pour s’opposer à l’une des plus grandes multinationales productrices de papier et de carton au monde : Smurfit Westrock. Organisés, ils luttent pour faire avancer la réforme agraire au moyen de l’autonomie et de la récupération des terres spoliées par la société.
Le quatrième article présente les témoignages de deux femmes issues de mouvements paysans en lutte pour la terre, l’une thaïlandaise, l’autre brésilienne. Dans les deux cas, elles mènent le combat pour occuper des zones qu’elles ont réussi à reprendre aux géants de l’industrie. Là où auparavant il n’y avait que des monocultures d’arbres, aujourd’hui, grâce à elles, des espaces s’ouvrent pour la culture d’aliments agroécologiques.
Enfin, le cinquième article nous emmène au Libéria. Un entretien exclusif avec deux leaders du clan Joghban détaille les diverses formes de violence subies avec l’arrivée des multinationales du caoutchouc, LAC-Socfin, et de d’huile de palme, Equatorial Palm Oil (anciennement LIBINC). Mais l’objectif principal de cet entretien est avant tout de montrer comment, ensemble, des femmes et des hommes ont remporté une victoire historique : reconquérir et faire reconnaître une partie de leur territoire traditionnel envahi par l’une de ces sociétés.
Si les impacts de ces monocultures d’arbres sont documentés dans les articles que nous présentons ici, à partir des témoignages de celles et ceux qui les ont vécus, il ne s’agit pas seulement d’un bulletin de dénonciation. C’est avant tout un bulletin qui vise à nourrir l’espoir. Il montre que la résistance aux monocultures d’arbres – et au modèle qu’elles représentent – est forte dans les pays du Sud, en particulier chez les femmes. Mettre ces résistances côte à côte dans les pages qui suivent vise également à rassembler des luttes et des peuples qui, malgré leurs différences et leurs distances géographiques, partagent des similitudes historiques et des objectifs communs : dire non aux monocultures d’arbres et oui à l’autonomie des communautés.
Bonne lecture !
Références :
(1) WRM, Monocultures d’arbres
(2) WRM, 2017. Les plantations de SOCFIN en Afrique : des lieux de violence et de destruction
(3) WRM, 2020. Vidéo : La violence et les abus sexuels contre les femmes dans les plantations de palmiers à huile DOIVENT CESSER
(4) Rede Alerta contra os Desertos Verdes, 2023. O que você precisa saber sobre a empresa Suzano Papel e Celulose.
(5) WRM, 2025. Contre le capital et le patriarcat, les femmes MST mènent une journée de lutte et occupent des plantations d'eucalyptus de la société Suzano au Brésil
(6) MST, 2025. Mulheres Sem Terra interditam via de acesso à Suzano no Maranhão Mulheres Sem Terra interditam via de acesso à Suzano no Maranhão - MST
(7) WRM, Femmes et monocultures d’arbres
(8) WRM, 2018. Femmes, plantations d’arbres et violence : construire des résistances