Bénin : la “modernisation” de la production d’huile de palme marginalise les femmes

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La production d’huile de palme est séculaire au Bénin et elle s’est toujours faite surtout par des méthodes artisanales. Ce sont précisément les femmes qui fabriquent l’huile de palme pour la consommation locale. Or, au nom de la « modernisation de la production », le rôle des femmes se voit aujourd’hui menacé.

Bien que l’État ait essayé de développer un système de grandes plantations de palmiers et de grandes unités d’industrialisation, le fait est que l’artisanat s’est imposé comme moyen de production prédominant tout au long du siècle. Il a réussi à s’adapter à un contexte en constante évolution, du côté de l’offre (augmentation de la quantité de matière première), comme du côté de la demande (diversification des débouchés). En l’an 2000, le marché local de l’huile de palme au Bénin était couvert à 83 % par la production de milliers de productrices artisanales (les industries en assurant 7 %; les 10 % restant sont des importations).

Jusqu’à aujourd’hui, la production artisanale d’huile de palme est largement assurée par des femmes, individuellement ou éventuellement aidées par une main-d’œuvre familiale. Ces artisanes emploient des techniques entièrement manuelles.

A partir du début des années 1990, l’État béninois et les bailleurs de fonds ont décidé de changer d’approche : la gestion publique de grosses unités de transformation industrielles a montré ses limites. Celles-ci sont privatisées au cours de la décennie 1990, et on appuie l’émergence de petites exploitations privées. Cet appui repose sur la diffusion de plants de palmiers sélectionnés, et sur la conception et la promotion de petit matériel de transformation. Un programme de diffusion de plants de palmiers sélectionnés est mis en place à partir de 1993. Des pépiniéristes privés, agréés et subventionnés par l’État, vendent au public à prix contrôlé des plants de palmiers sélectionnés.

Une nouvelle catégorie d’acteurs apparaît dans la filière : les planteurs de palmiers sélectionnés. Ils adoptent une stratégie tout à fait différente des planteurs de palmiers naturels. Ces derniers pratiquent systématiquement cette culture en association avec des cultures vivrières, tandis que les premiers ont tendance à se spécialiser dans le palmier, et deviennent « planteurs » avant d’être « cultivateurs ». Dans le contexte actuel du Sud-Bénin, où l’achat de terres est devenu possible, ils acquièrent des parcelles qu’ils consacrent à cette culture. Ces nouveaux planteurs sont en quasi-totalité des hommes.

Les artisanes ne parviennent que très rarement à posséder leur propre palmeraie. Le caractère de culture de rente du palmier, renforcé par un aspect symbolique (« symbole de richesse ») a suscité un mouvement d’accaparement par les hommes.

Les planteurs sont en effet tout à fait conscients des profits que l’on peut faire grâce à la transformation, surtout si l’on a la capacité de stocker. Actuellement, environ un planteur sur deux garde au moins une partie de sa production et embauche des artisanes pour la transformer. Depuis une dizaine d’années, les organismes de développement appuient la diffusion du matériel de transformation (presses et malaxeurs), en insistant sur l’accroissement des performances techniques.

Au bénéfice économique s’en ajoute un autre, social. Le propriétaire d’un atelier équipé bénéficie d’une valorisation sociale que n’a pas le planteur qui embauche des femmes pour transformer sa production. L’investissement des planteurs vers l’aval de la filière va donc probablement s’amplifier.

Or, la transformation de leur production par les planteurs eux-mêmes a une conséquence directe pour les artisanes : les quantités de matière première offertes par ces derniers vont diminuer. Le statut des artisanes leur interdisant bien souvent d’avoir leurs propres palmeraies, une partie d’entre elles pourrait se retrouver exclue de la filière. Celle-ci fournissant actuellement une part de leurs revenus à bon nombre de femmes rurales du Sud Bénin, le développement de la mécanisation peut s’avérer problématique. A la différence du secteur industriel qui a ses propres réseaux d’approvisionnement et de commercialisation, les petits ateliers semi-mécanisés se posent en concurrents directs des artisanes.

Le programme actuel de développement de la filière, qui repose sur la diffusion de plants de palmiers sélectionnés et du petit matériel, ne bénéficie qu’à une seule catégorie d’acteurs, qu’il a fait émerger : les « nouveaux » planteurs privés. Ceux-ci vont être en mesure de concurrencer les artisanes à plusieurs niveaux car ils bénéficient d’un accès privilégié à la matière première ; leurs techniques de transformation leur permettent des prix de revient inférieurs ; leurs plus grosses productions permettent des ventes en gros qui attirent les commerçants.

Lorsque les autorités du Bénin et les agences de coopération internationales ont mis en place ces programmes de modernisation du secteur, elles ont oublié de prendre en compte les effets qu’ils pouvaient avoir sur les deux sexes. La tendance à la « modernisation » a fait que les hommes commencent à prendre une place prépondérante dans la production d’huile et que les femmes en soient exclues. Les auteurs du programme ont oublié que des milliers de femmes rurales tirent des revenus de la fabrication artisanale d’huile. Ils ont oublié aussi que le système artisanal suffisait à alimenter le marché local, tout en représentant une source de travail et de revenus pour les femmes. Que ce soit par oubli, par ignorance ou par omission, le fait est qu’ils sont en train de faire basculer des milliers de femmes dans la pauvreté.

Article basé sur des citations extraites de : « Enjeux et contraintes du développement de la filière huile de palme au Bénin : une approche par les systèmes agro-alimentaires localisés », de Stéphane Fournier, José Muchnik et Denis Requier-Desjardins. Disponible sur : http://com.revues.org/index978.html.