Le Honduras et la loi sur la consultation : un piège pour faire avancer le capitalisme dans les territoires autochtones

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Photo: OFRANEH

Depuis la ratification de la Convention 169 de l’OIT en 1995, les peuples autochtones du Honduras ont exigé la création un mécanisme de consultation pour l’obtention du consentement préalable, libre et éclairé (CPLÉ), étant donnée l’avalanche de plans, de programmes et de projets de « développement » qui menacent la survie de nos peuples aux cultures distinctes.

Avec l’approbation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) en 2007, les demandes des peuples autochtones se multiplient partout sur le continent, car la DNUDPA précise mieux le processus de consultation que la Convention 169 et en plus, elle reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples.

À partir de 2010, les États-nations d’Amérique latine ont repris la mise en œuvre de la Convention 169. Cependant, ils déforment son esprit en transformant la consultation préalable en une simple formalité pour les entreprises et leurs projets tout en diluant l’obligation de l’État de consulter les peuples autochtones à propos des mesures administratives qui pourraient les toucher. La version péruvienne de la loi sur les consultations est devenue le modèle à suivre, un modèle que les financiers internationaux applaudissent depuis maintenant une décennie et que les peuples autochtones de ce pays considèrent comme un énorme fiasco.

Ce n’est qu’en 2012 que l’État du Honduras a entamé l’élaboration d’une loi sur la consultation, sous l’impulsion du programme REDD des Nations Unies (Réduction des émissions causées par la déforestation et la dégradation des forêts) et de l’Accord de partenariat volontaire (APV) entre le Honduras et l’Union européenne. Cet accord a été conclu dans le cadre du Plan d’action FLEGT de l’Union européenne (application des lois, gouvernance et commerce forestier). Ce processus a été interprété comme un pas vers la création de protections REDD en vue du début de la mise en œuvre du programme au Honduras.

Un processus sensiblement similaire en ce qui concerne la Convention 169 s’est déroulé ailleurs en Amérique latine. Au début du nouveau millénaire et jusqu’à il y a quelques années, l’approbation de la Convention causait stupeur et euphorie. Mais lorsque l’on a commencé à l’appliquer, d’énormes contradictions sont rapidement apparues en ce qui concerne la reconnaissance par les États-nations du droit à la consultation préalable.

Pourquoi la consultation préalable est-elle importante ?

Pour les peuples autochtones, le mécanisme de consultation constitue un outil de survie face à l’offensive de spoliation qui s’approfondit en plein 21e siècle.

Dans le cas du Honduras, en 2014, des instances gouvernementales comme la Confederación de Pueblos Autóctonos de Honduras (CONPAH, Confédération de peuples autochtones du Honduras) et la Dirección de Pueblos indígenas y Afrohondureños (DINAFROH, Direction de peuples autochtones et AfroHonduriens) ont élaboré leurs propres versions de la Loi sur la consultation, en plus de celle qu’a élaborée l’Observatorio de los Pueblos Indígenas (ODHPINH, Observatoire des peuples autochtones), auquel font partie le COPINH et l’OFRANEH notamment.

En 2015, un nouvel avant-projet de loi sur la consultation préparé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) au Honduras a remplacé les versions de la CONPAH et de la DINAFROH. Pour ce faire, le PNUD engagea un groupe de juristes péruviens, notamment Iván Lanegra. La version de Lanegra a délibérément omis de mentionner le terme « consentement » de manière à convertir le processus de consultation en simple procédure.

Le rôle douteux que le PNUD a joué nous pousse à croire que sa position est directement liée aux intentions du programme REDD de l’ONU, lequel a produit des conséquences dévastatrices au plan mondial, comme le déplacement de peuples autochtones en Afrique, tout particulièrement au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie.

Le consentement et l’autodétermination des peuples

Pour les peuples autochtones au Honduras, la consultation en vue d’obtenir le consentement revêt une importance plus qu’essentielle. Cependant, non seulement l’État prétend-il la dénaturer, mais aussi l’OIT elle-même a à de multiples reprises indiqué que la consultation ne donne pas le droit du véto. Dans des réunions réalisées au cours de l’année entre l’OIT Amérique centrale, le CACIF (Comité coordinateur des associations, agricoles, commerciales, industrielles et financières) du Guatemala et le COHEP (Conseil hondurien de l’entreprise privée) du Honduras, des fonctionnaires de l’OIT ont suscité les applaudissements des associations d’entrepreneurs les plus récalcitrantes du continent en leur réaffirmant que l’article 6 de la Convention 169 n’inclut aucun véto de quelque type que ce soit.

L’OFRANEH insiste qu’elle n’exige aucun véto, quel qu’il soit, mais bien simplement le respect du droit à l’autodétermination, lequel est inclus dans le Pacte international sur les droits civils et politiques et à l’article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPI). En passant, l’État du Honduras a indiqué à diverses occasions devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme que la DNUDPI n’est pas contraignante.

Le Honduras depuis le coup : un recul sur la question des droits

En 2009, le Honduras est devenu un laboratoire politico-économique. Avec le coup d’État, il a connu d’importants reculs en matière de droits humains. La controffensive des États-Unis devant ce que l’on a baptisé le « socialisme du 21e siècle, » qu'impulsent les gouvernements dits progressistes de la région latino-américaine, a pris forme avec l’intervention militaire et le coup du pouvoir législatif qui ont réussi à renverser le président Manuel Zelaya. Après l’instauration de la façade « démocratique » en 2010 et l’appel à des élections générales, on a assisté à une privatisation accélérée des biens communs. Ainsi, le gouvernement a donné environ cinquante bassins hydrographiques à l’élite au pouvoir pour la construction de barrages hydroélectriques, y compris certains qui figuraient dans la liste de projets du mécanisme de développement propre du Fonds de partenariat pour le carbone des Nations unies. Ce mécanisme contribue à générer des gains supplémentaires pour les projets, lesquels s’ajoutent aux profits déjà établis et négociés. Par la suite, le pouvoir législatif a approuvé les « villes modèles, » une expérience en gouvernance qu’impulsent des libertaires d’extrême droit étasuniens (1).

Les « villes modèles », les barrages hydroélectriques et la cession de la plate-forme maritime pour l’exploitation d’hydrocarbures n’ont pas comporté de consultation des peuples autochtones touchés. Le mépris de la consultation préalable a atteint son comble avec la distorsion promue par le programme REDD de l’ONU et le PNUD dans le cas de l’avant-projet de Loi sur la consultation que ces organisations ont tenté d’imposer en 2015. On a temporairement suspendu cet avant-projet de loi à la suite des sévères critiques de Mme Victoria Tauli-Corpuz, rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les peuples autochtones. Elle avait visité le Honduras exclusivement pour passer en revue les actions entreprises par l’État et le PNUD.

La version actuelle de la Loi sur la consultation correspond à celle que le Péruvien Lanegra avait rédigée suite à une opération maquillage menée après les observations de diverses organisations autochtones et de Mme Victoria Tauli-Corpuz. L’OFRANEH considère que l’APV FLEGT de l’Union européenne, le programme REDD des Nations Unies et la Banque mondiale appuient les pressions de l’État pour faire approuver la loi sur la consultation élaborée par Lanegra. Toutes ces institutions vantent le respect des droits humains des peuples autochtones, mais cela ne les a pas empêchés de s’impliquer dans des déplacements forcés de populations. (2)

À une date récente, le Congrès national hondurien a approuvé une loi d’appui au tourisme élaborée par la firme Consultora Mckensy, laquelle a participé au programme REDD. En plus d’offrir des exonérations d’impôt aux investisseurs, cette loi précise explicitement les expropriations qu’elle procurera. On n'a jamais consulté le peuple garifuna à propos de cette loi même si ce peuple sera un des plus durement touchés par la vente aux enchères de son territoire ancestral pour des projets touristiques prévus dans la loi. Cette loi devient donc une menace pour les peuples autochtones qui habitent dans des zones ayant un potentiel touristique. (3)

C’est dans ce contexte que le Honduras est devenu un État failli alors que ses deux dernières administrations se sont entendues avec le crime organisé, ce qui a causé l’écroulement du système judiciaire et des organismes de sécurité. Malgré cela et la forte répression sociale dans le pays, la résistance populaire et autochtone continue sa lutte contre les avancées du capitalisme dans nos territoires.

Organización Fraternal Negra Hondureña (OFRANEH), https://ofraneh.wordpress.com/

(1) Pour en savoir plus sur ce point, voir l’article du bulletin du WRM de septembre-octobre 2016, https://wrm.org.uy/fr/les-articles-du-bulletin-wrm/neocolonialisme-et-plantations-sur-la-cote-garifuna-damerique-centrale/

(2) OFRANEH, Honduras : « Consulta previa y la urgencia del Estado en la aprobación de una Ley Espuria, » septembre 2017, https://ofraneh.wordpress.com/2017/09/07/honduras-consulta-previa-y-la-urgencia-del-estado-en-la-aprobacion-de-una-ley-espuria/

(3) OFRANEH, Honduras 2020, « La inconsulta Ley y la consultora Mckinsey, » août 2017, https://ofraneh.wordpress.com/2017/08/03/honduras2020-la-inconsulta-ley-de-turismo-y-la-consultora-mckinsey/