Laos : grâce à “l’aide” de la Norvège et de la Chine, le fleuve Xeset aura un nouveau barrage

Image
WRM default image

Fin 2006, la société conseil norvégienne Norconsult a remporté un contrat de 1,5 millions USD pour superviser la construction du barrage Xeset 2 dans le Sud du Laos. Ce contrat, financé par la Norad (Agence norvégienne d’aide au développement), n’a fait l’objet d’aucun appel d’offres.

Norconsult a beaucoup d’expérience de travail sur le fleuve Xeset, car elle a participé à la planification et à la construction du Xeset 1 (45 MW), qui a été complété en 1991, financé par la Suède, la Norvège, la Banque asiatique de développement et le PNUD. Pendant la saison sèche, le Xeset 1 ne produit presque pas d’électricité parce que le débit du fleuve Xeset est très faible.

Huit ans après la construction du Xeset 1, Norconsult a été engagée à nouveau pour faire une étude de faisabilité des barrages Xeset 2 et Xeset 3. La Norad a destiné 1,8 millions USD à la réalisation de cette étude. Les barrages Xeset 2 et Xeset 3 sont prévus en amont du Xeset 1 ; en détournant l’eau de fleuves proches pour qu’ils se déversent dans le Xeset, on augmentera le volume d’eau qui passe par les turbines du Xeset 1. Comme dans le cas du Xeset 1, la plupart de l’électricité du Xeset 2 (76 MW) sera exportée vers la Thaïlande.

L’idée de construire de nouveaux barrages pour tenter de résoudre les problèmes du premier est évidemment tentante pour une société comme Norconsult. Pourtant, augmenter le nombre des barrages équivaut à augmenter le nombre des fleuves et des pêches détruits et celui des personnes qui perdent leurs moyens de vie.

Il y a deux ans, Phetsavanh Sayaboulaven a interviewé des paysans de la zone du Xeset 2. Presque tous les habitants de la région sont autochtones, et beaucoup appartiennent aux groupes ethniques Jru (Laven) et Kouay. L’un d’eux a dit à Phetsavanh : « Nous ne voulons pas qu’ils construisent le barrage. Il va beaucoup affecter notre terre et l’environnement. La compensation officielle ne sera pas suffisante, comme dans le cas du barrage de Houay Ho. Mais nous n’osons pas nous opposer aux fonctionnaires du gouvernement ».

La Chine aussi joue un rôle important dans le barrage Xeset 2. La banque chinoise Import-Export Bank of China finance à 80 pour cent ce projet de 135 millions USD, et le reste est apporté par Électricité du Laos. L’entrepreneur principal est la China North Industries Corporation (Norinco), une entreprise mieux connue dans le domaine de la fabrication d’armes que dans celui de la construction de barrages. Les travaux du Xeset 2 sont en cours, et il est prévu que le barrage soit prêt en 2009.

Lorsque Norinco a commencé à construire le barrage, les paysans ont commencé à voler : des barres de fer, des tuiles et de grandes quantités de pétrole ont disparu du site des travaux. Quelques paysans se sont enrichis rapidement. Le vol pouvait être perçu comme une forme de résistance au barrage, ou comme une tentative des paysans de s’assurer qu’ils obtiendraient au moins quelque compensation. Les Laotiens qui travaillaient pour l’entreprise chinoise aidaient les paysans à voler du pétrole. Il ne servait à rien de renvoyer ces travailleurs, parce que ceux qu’on embauchait pour les remplacer aidaient eux aussi les voleurs. La situation est devenue violente quand des paysans ont tué un travailleur chinois qui essayait de les empêcher de voler du pétrole.

Probablement pour essayer de calmer les choses, le gouvernement du Laos a veillé à ce que les paysans reçoivent quelques indemnités. D’après des recherches récentes menées dans le pays, les paysans de la zone immédiate au site des travaux ont reçu un total d’environ 150 000 USD, en compensation des terres et des caféiers perdus.

Mais ceux que les travaux de construction n’ont pas encore affectés n’ont rien reçu. Or, plus de 12 500 paysans qui vivent le long du fleuve Tapoung en verront diminuer considérablement le débit lorsque l’eau sera détournée vers le réservoir du Xeset 2. Ces paysans ne savent pas s’ils vont recevoir une quelconque indemnité ni, dans le cas affirmatif, comment elle sera calculée.

Les paysans utilisent l’eau du Tapoung pour cultiver du riz en saison sèche. Ils plantent une grande variété de produits sur les rives et dans les terres voisines du fleuve. Beaucoup de plantes sauvages poussent le long du Tapoung, dont des plantes comestibles et médicinales. Les poissons, les crevettes, les crabes et les escargots sont une source de protéines importante pour la population. Le fleuve est aussi la source principale d’eau potable pour beaucoup de villages pendant la saison sèche. « S’ils construisent le barrage et empêchent l’eau de couler dans ce fleuve, ce sera très malheureux », a dit une femme âgée à Phetsavanh. « Le fleuve me nourrit depuis mon enfance et dans mes vieux jours. »

Quand Norconsult a décidé en 1999 que les barrages Xeset 2 et 3 étaient réalisables, ses consultants savaient que, grâce à cette décision, l’entreprise allait obtenir d’autres contrats à l’avenir. Or, la décision a été remise en question quatre années plus tard par une étude financée par la Banque asiatique de développement, suivant laquelle les barrages Xeset 2 et 3 « n’étaient pas viables ». Quand j’ai demandé comment les consultants de Norconsult avaient fait pour arriver à la conclusion opposée, l’entreprise a choisi de ne pas faire de commentaires.

La situation est paradoxale dans le Plateau Boloven : une société conseil norvégienne bénéficie de « l’aide » de la Norvège, une entreprise de construction chinoise bénéficie de « l’aide » de la Chine, et ce sont les paysans du Laos qui devront faire les frais de la destruction des fleuves et des moyens de subsistance.

Chris Lang, adresse électronique : chrislang@t-online.de, http://chrislang.org