PHC Congo : Les banques européennes de développement seront responsables de l'échec du processus de médiation

Communiqué collectif - 20 novembre 2023

PHC Congo : Les banques européennes de développement seront responsables de l'échec du processus de médiation

Cela fait maintenant plus de cinq ans que neuf communautés de la République démocratique du Congo (RDC) ont déposé une plainte auprès du mécanisme indépendant de gestion des plaintes (MIP) des banques de développement allemande, française et néerlandaise. La plainte porte sur des conflits fonciers avec la société de plantation de palmiers à huile, Plantations et Huileries du Congo (PHC – anciennement détenue par Feronia Inc). Malheureusement, l’issue de la médiation risque d’être un échec si des mesures fortes ne sont pas prises pour assurer un processus adéquat, sur, indépendant et réellement inclusif pour les communautés locales et de leurs représentants.

En 2018, la plainte déposée contre PHC-Congo par des villageois des régions de Boteka et de Lokutu portait sur trois sujets : les conflits fonciers, les violences contre les villageois et le manque de transparence. Le processus des cinq dernières années n’a pu résoudre ces préoccupations, bien au contraire, elles se sont aggravées.

Les villageois.es qui ont déposé la plainte continuent d'être régulièrement arrêtés, harcelés et intimidés par les agents de sécurité de l'entreprise et par un détachement de soldats et de policiers nationaux envoyés pour les soutenir. Les témoignages et les déclarations des villageois.es attestent d'un niveau alarmant de brutalité, les agents et soldats vandalisant les maisons des habitants et volant l’argent et les objets de valeur, en toute impunité. Cette répression a lieu alors que PHC et les autorités de la RDC ont formellement convenu, lors d'une session de médiation en mars 2023, de garantir la libération des villageois.es détenus dans les prisons et de mettre fin à toute violence et criminalisation des villageois. A ce jour, des dizaines de villageois.es sont encore en prison suite à des accusations douteuses de vol dans les plantations. Tant que cette répression continuera à s'intensifier, les membres de la communauté ne se sentiront pas en sécurité pour participer au processus de médiation.

Le refus de l'entreprise et du gouvernement de fournir des copies des titres fonciers litigieux constitue un autre échec majeur du processus de médiation. Sans ces documents, il n'est pas possible pour la médiation de résoudre le conflit foncier centenaire qui est au cœur des tensions entre l'entreprise et la communauté et au centre de la plainte déposée il y a une demi-décennie. La commission tripartite formée dans le cadre du processus de médiation pour enquêter sur la légitimité des revendications foncières de l'entreprise n'a donc pas été en mesure de mener à bien sa mission. PHC a purement et simplement refusé de fournir ces documents à la suite de la demande de l’équipe de médiation. Néanmoins, les villageois.es concerné.e.s, avec l'aide de l'organisation congolaise de défense des droits de l'homme RIAO-RDC, ont fourni à la commission de la MIP des informations détaillées sur la façon dont PHC a établi de nouvelles bornes et étendu son occupation sur leurs terres entre 2011 et 2015 sans les consulter. Période pendant laquelle PHC bénéficiait de millions de dollars de financement de la part de banques de développement européennes.

Dans ce contexte, l’annonce d’expansion faite par PHC début du mois interpelle. L’entreprise a dévoilé ses plans d’expansion massive visant à augmenter sa capacité de production d'huile de palme de 80 000 tonnes par an à deux millions de tonnes en sept à huit ans. Mais, on ne sait toujours pas où l'entreprise prévoit d'acquérir la quantité de terres nécessaire à doubler sa production. Au vu du manque de collaboration de PHC dans la médiation, cette annonce apparaît comme un manque de respect et de considération pour le processus en cours et pour les communautés congolaises concernées.

Malgré l'absence d'enquête sérieuse sur les questions foncières, le panel du MIP a déjà indiqué qu'une session de médiation finale aura lieu en janvier 2024 à Kinshasa entre l'entreprise et une sélection de chefs de village, accompagnés par le RIAO-RDC, et de représentants du gouvernement. Pour les villageois.es et les organisations de la société civile nationale et internationale qui suivent le processus, la plainte a été déposée pour résoudre les problèmes fonciers hérités du passé, car la terre est l’élément central permettant aux communautés d'améliorer leurs moyens de subsistance, dans le respect de leur droit fondamental à l’accès à la terre. Quelques projets sociaux ou des compensations ne peuvent pas remédier à ces violations de droits et la médiation échouera si les questions foncières ne sont pas résolues.

Le troisième problème qui mine la médiation est celui du financement du MIP. D’une part, il y a un manque de transparence quant au budget attribué à la médiation et l’état d’avancement des dépenses. D’autre part, le budget devant permettre une participation effective des communautés et de l’organisation qui les représente, la RIAO-RDC, est insuffisant et RIAO-RDC indique qu'elle a dû avancer des fonds pour des postes budgétaires convenus sans certitude d'être remboursé.

Le MIP, les banques de développement et leurs gouvernements respectifs en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, mais aussi la Belgique et l’Angleterre, doivent d'urgence garantir un mécanisme de plainte efficace avec un financement adéquat et transparent, des ressources et un accès aux documents fonciers, ainsi que la sécurité des villageois.es participants et de leurs représentant.e.s, y compris la cessation des arrestations et du harcèlement et la libération immédiate des villageois.es en détention. Dans le cas contraire, le MIP ne sera pas en mesure de traiter les violations des droits des communautés touchées par les entreprises financées par les banques de développement, ce qui montrera une fois de plus que les banques ne sont pas en mesure de prévenir et de réparer les conflits fonciers.

Nous insistons également sur le fait que les preuves déjà fournies par les communautés montrent clairement que les financements accordés par les banques de développement à PHC (et à son propriétaire de l'époque, Feronia Inc) ont facilité l'expansion illégale des plantations et des revendications territoriales de PHC. Les banques de développement ont, au minimum, la responsabilité de veiller à ce que les terres soient immédiatement restituées aux communautés et que les villageois concernés soient dédommagés pour les violations de leur droit à l'alimentation et indemnisés pour la perte de leurs terres et les conséquences négatives qu'ils ont subies au cours des dernières décennies.


Signé par :

RIAO-RDC
Both ENDS
CNCD-11.11.11
Entraide et Fraternité
FIAN Allemagne
FIAN Belgique
GRAIN
Milieudefensie
Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales (WRM)
Oakland Institute
Oxfam Novib
Rettet den Regenwald
Struggle to Economize Future Environment (SEFE)
Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (SYNAPARCAM)
The Corner House

Source: Farmlandgrab

 

Lutte et espoir pour un monde sans pétrole

Dans cet éditorial, nous souhaitons souligner l’apport du peuple équatorien sur le chemin de la lutte mondiale pour des territoires sans exploitation pétrolière.

En août 2023, un référendum national s’est prononcé à près de 60% en faveur de l’arrêt de l’exploitation pétrolière dans le parc national de Yasuní, un territoire amazonien dont dépendent des populations autochtones, qui pour certaines vivent en isolement volontaire. Les opérations pétrolières y avaient déjà commencé et l’entreprise Petroecuador a dû démanteler ses plates-formes de forage et ses infrastructures et quitter les lieux. Un message d’espoir clair est venu soutenir les luttes pour la défense des territoires et de la vie : « Pas un puits de plus ! ».

Les résultats du référendum sont le fruit de mouvements déterminés, divers et persévérants, au premier rang desquels figurent les peuples autochtones. Des membres du peuple Waoraní ont formé une délégation pour se rendre dans d’autres territoires et créer de nouveaux liens de soutien avec d’autres peuples autochtones et d’autres segments de la population.

Cette victoire importante et encourageante du peuple équatorien intervient dans un contexte où les élites internationales, et particulièrement les entreprises pétrolières, continuent de s’accrocher au pouvoir et aux bénéfices qu’elles tirent des énergies fossiles. N’oublions pas que ces énergies sont les piliers de l’économie capitaliste mondialisée et, par conséquent, une industrie stratégique dans l’expansion du capital. À eux seuls, cinq pays du Nord global sont responsables de plus de la moitié des projets actuels d’expansion de l’exploitation pétrolière et gazière d’ici à 2050 (1).

En septembre dernier, lors d’une table ronde avec d’autres dirigeants d’entreprises énergétiques parmi les plus importantes du monde, Vicki Hollub, présidente et directrice générale de la société pétrolière étasunienne Occidentale Petroleum, a déclaré ,: « Je ne crois pas que la situation actuelle signe la fin de notre industrie, bien que certains le souhaitent. Comme nous l’avons fait dans le passé, nous trouverons des manières d’innover pour sortir de cette situation (…). Notre plus grand défi (…) est de faire en sorte que les gens aient de nouveau confiance en notre industrie… » (2).

Cette déclaration témoigne une fois de plus du fait que l’industrie responsable du chaos climatique et de la dévastation d’innombrables territoires et forêts continue à déployer des stratégies pour tenter de légitimer ses activités. Entre autres arguments, elle prétend que le pétrole et le gaz sont désormais « verts », « neutre en carbone » (3) ou encore « propres ». Ces affirmations se basent sur de fausses solutions, comme des projets de compensation carbone qui ne servent à rien et, pire encore, sont nuisibles pour les communautés, les forêts et le climat (4). Parmi les projets de compensation, la grande majorité concernent les forêts et les terres (5), et en particulier les zones de conservation et les plantations industrielles d’arbres. Cela devient à son tour une menace constante pour les populations dépendantes des forêts (6).

Dans ce bulletin, nous partageons des articles qui révèlent l’envers du décor des stratégies de greenwashing des entreprises : les nombreux impacts négatifs que les plantations industrielles d’arbres occasionnent sur les populations et territoires en Uruguay, en Inde, au Brésil et au Mozambique. Un autre article dénonce le modèle colonial des zones protégées, en particulier dans le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo (RDC) et la lutte du peuple Batwa pour récupérer ses terres ancestrales.

Une fois de plus, ce sont les peuples et les mouvements de terrain qui témoignent d’une cohérence et d’une sagesse dans la lutte pour la vie. Ce n’est qu’en laissant les combustibles fossiles dans le sol que nous pourrons avancer vers de nombreux mondes possibles. La Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE) a annoncé dans un communiqué : « Le triomphe du « Oui » signifie qu’en tant que peuple équatorien, nous avons choisi de sauver la vie, d’attirer l’attention sur nos frères Tagaeri, Taromenane et Dukagaeri, en isolement volontaire, et de voter « Oui » pour sauver leurs terres, leur vie, leur souveraineté alimentaire et les remèdes qu’ils trouvent dans la forêt tropicale sacrée. Ce « Oui » est un répit pour le Yasuní et le Chocó Andino, dont les écosystèmes présentent une énorme biodiversité. L’Équateur apporte une contribution significative dans la lutte contre le changement climatique. Nous avons gagné dans les urnes et nous proclamons ce message pour que d’autres peuples dans le monde puissent aussi faire usage de leurs droits en tant que citoyens pour protéger la nature » (7).

Nous réitérons ainsi la déclaration faite par un activiste et ancien ministre de l’énergie de l’Équateur : « Ce dont nous avons besoin, c’est de multiplier le nombre de Yasunís dans le monde. » (8)


(1) OilChange, 2023, Planet Wreckers: How 20 Countries’ Oil and Gas Extraction Plans Risk Locking in Climate Chaos
(2) CNBC, 2023, ‘We are not in the business of ice cream’: Big Oil CEOs defend themselves against climate criticism
(3) AgenciaBrasil, 2023, Petrobras lanza la primera gasolina neutra en carbono de Brasil
(4) Voir par exemple : The Guardian, 2023, Revealed: top carbon offset projects may not cut planet-heating emissions; REDD-Monitor, 2023, Carbon offset deals in fictitious Carbon Dioxide Removal technologies; Suriname: Real oil and fake offsets; Mongabay, 2022, At a plantation in Central Africa, Big Oil tries to go net-zero,
(5) Ecosystem Marketplace Database
(6) Voir divers articles et publications sur l’impact du REDD sur les populations de la forêt ici.
 (7) CONAIE, 2023, Celebramos el triunfo del SÍ por Yasuní y el Chocó Andino
(8) David Hill, 2023, ‘What we need is to multiply the number of Yasunis around the world'

Échange d’expériences de lutte contre les plantations industrielles d’arbres entre les communautés du Brésil et du Mozambique

Les échanges entre ceux qui luttent pour la défense de leurs territoires sont cruciaux pour aider à connecter et à renforcer les résistances ainsi que pour l’apprentissage mutuel des expériences, connaissances et luttes entre communautés diverses. Ces espaces donnent une place centrale aux voix de ceux qui se sont organisés, mobilisés et qui ont mis leurs propres corps et communautés sur le front de la défense de la vie.

Ces moments de rencontres entre membres de communautés au Brésil et au Mozambique sont d’autant plus significatifs qu’ils véhiculent des luttes et des histoires de communautés noires, qui résistent au-delà des multiples oppressions imposées par les entreprises de plantations d’arbres. Ces échanges qui renforcent les liens de solidarité ont lieu depuis plus de cinq ans à travers des connexions virtuelles, des visites présentielles et autres échanges divers.

« Deux des éléments apparus très clairement en faveur d’un mouvement de résistance sont l’union et la mobilisation entre les peuples et les communautés impactées, (…) ainsi que la relation du territoire avec la culture locale et les moyens de production », a souligné Ronaldo, originaire de l’état de Minas Gerais, au nord du Brésil, dans une vidéo envoyée aux communautés du Mozambique en 2019. Francisca María, de l’état de Maranhão, enjoint quant à elle les compagnons du Mozambique à ne « jamais accepter les propositions trompeuses de la part des entreprises » et à se concentrer sur l’union de la lutte.  por las empresas de plantaciones hacer un movimiento de resistencial D las opresiones impuestas por las empresas de plantaciones

En 2021, une rencontre entre des communautés du Brésil, du Mozambique et de la Tanzanie qui a confronté les impacts des plantations industrielles d’arbres a notamment conclu que : « toute cette situation cause beaucoup de souffrance, beaucoup de faim dans les communautés et affecte spécialement les femmes. Le gouvernement a ouvert la porte à des entreprises et des investisseurs et l’a fermée à la population. Il s’agit d’une nouvelle forme de colonialisme dans laquelle l’entreprise est le nouveau colonisateur des terres sur lesquelles les communautés ont vécu durant plusieurs générations (…). Nous croyons qu’ensemble nous serons plus forts pour résister aux monocultures et à tout type d’usurpation de nos terres ».

En septembre 2023, une nouvelle rencontre a été organisée dans le cadre de la Journée Internationale de Lutte contre les monocultures d’arbres. L’activité a permis de donner une continuité au processus d’échanges et a contribué à renforcer la solidarité entre des communautés quilombas (1) au Brésil qui luttent contre les plantations de l’entreprise Suzano Papel e Celulose, et des communautés au Mozambique qui combattent les plantations des entreprises Green Resources y Portucel Moçambique (The Navigator Company). Tout cela a été enregistré dans la déclaration qui est née de cette rencontre :

Rencontre virtuelle Brésil et Mozambique : la résistance contre les monocultures d’eucalyptus et la célébration de la défense des territoires

Dans le cadre de la semaine de la Journée Internationale de la Lutte contre les monocultures d’arbres du 21 septembre, les communautés affectées par les grandes plantations d’eucalyptus du Brésil et du Mozambique, ont célébré à travers un échange virtuel la résistance qui nous unit dans la lutte pour nos territoires, nos vies et contre les déserts verts d’eucalyptus. Les communautés et organisations faisant partie du Red Alerta contra el Desierto Verde, ont assisté à la rencontre virtuelle avec les communautés et organisations sœurs au Mozambique qui, dans le même temps, se réunissaient dans les provinces de Nampula et Zambézia. Nous avons pu aborder la violence du modèle destructeur des entreprises de plantations et d’usines de papier dans nos localités. Nous avons également échangé sur nos expériences de résistances collectives, en montrant que nous sommes bien plus proches que la distance physique qui nous sépare.

Au Brésil, dans la région de Sapê do Norte, dans l’état de Espírito Santo, et au sud de Bahía, nous luttons depuis plus de cinquante ans contre les grandes monocultures d’eucalyptus installées à l’époque du régime militaire dans le cadre de la révolution verte, initialement par l’entreprise Aracruz Celulose, aujourd’hui connue sous le nom de Suzano Papel e Celulose. Au Mozambique, dans les provinces de Nampula et Zambézia, les entreprises Green Resources et Portucel Moçambique (The Navigator Company) ont établi leurs monocultures depuis plus de dix ans. Malgré les différences d’entreprises, de régions et d’époques, nous constatons et dénonçons que les impacts et violations dont nous souffrons dans nos communautés sont très similaires : la destruction de la forêt native, la disparition et la pollution des cours d’eau, l’appropriation des territoires communautaires, les fausses promesses des entreprises, la criminalisation, la persécution et les menaces.

Les femmes sont les plus affectées. En plus de voir notre travail affecté quotidiennement, la violence physique et psychologique que nous recevons des hommes est intensifiée – tant de la part de ceux qui sont au service des entreprises comme de ceux se trouvant à l’intérieur de nos communautés, où nous disposons de toujours moins de terres, d’eau et de ressources accessibles pour la subsistance de nos enfants.

Il faut aussi mentionner que nous partageons un passé et un présent afro. Au Brésil, nos communautés quilombas sont fières de leur ascendance africaine et de leur héritage de résistance contre les entreprises dirigées par les blancs, qui ont affecté et continuent à affecter nos vies. Au Mozambique, la lutte pour l’indépendance a été menée pour libérer la terre et le peuple, et maintenant nous luttons pour entretenir nos territoires. Comme le disait Samora Machel, « notre ennemi n’est ni l’homme blanc, ni l’homme noir, mais toute personne qui blesse et détruit le peuple ».

Lors de la clôture de la rencontre, nos sentiments étaient mitigés et oscillaient entre l’indignation envers les injustices dont souffrent nos communautés et l’enthousiasme de ne pas être seuls dans cette lutte. C’est avec cet esprit de solidarité et de résistance que nous avons commencé à récupérer les territoires qu’on nous avait usurpé au Brésil. Et au Mozambique, nous n’attendrons pas 50 ans pour récupérer nos territoires, ceux que nous habitons depuis bien plus longtemps que les entreprises des eucalyptus.

A bas les arbres du désert vert !

Nous sommes ensemble dans cette grande récupération globale de nos territoires, pour la justice et la réparation !

Au Mozambique :

Communauté de Napai II – Province de Nampula
Communauté de Namacuco - Province de Nampula
Communauté de Meparara - Province de Nampula
Communauté de Messa - Province de Nampula
Communauté de Intatapila - Province de Nampula
Mission Tabita - Province de Zambézia
Justicia Ambiental - ¡JA!

Au Brésil :

Red Alerta Contra el Desierto Verde
Comission Quilombola de Sapê do Norte, Espírito Santo
Communauté Quilombola de Angelim DISA
Communauté Quilombola de Angelim I
Communauté Quilombola do Chiado
Communauté Quilombola de São Domingos
MST – Mouvement de Travailleurs Ruraux Sans Terre, Espírito Santo
CDDH/Serra - Centre de Défense des Droits Humains de Serra, Espírito Santo
MNDH – Mouvement Nationale pour les Droits Humains
FACA - Fédération Anarchiste Capixaba
FASE - Fédération d’Organisations d’ASsistance Sociale et d’Education, Espírito Santo
WRM – Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales

 

(1) Les communautés quilombas sont formées par des descendants de personnes africaines réduites en esclavage dans le Brésil colonial et impérial et qui sont parvenus à s’en échapper.

 

La lutte des femmes Dayak pour la protection des forêts dans le Kalimantan central, en Indonésie

Les peuples autochtones Dayak perçoivent l'univers comme une mère nourricière qui exprime son amour et permet la subsistance des êtres humains grâce à ses abondantes ressources. Ils suivent une philosophie de vie appelée « Sesukup Belumbah Adat », qui signifie : « là où la terre est foulée, le ciel est soutenu ». Cette philosophie met l'accent sur leur valeur fondamentale, à savoir le respect de l'endroit où ils vivent. Par conséquent, la priorité pour les Dayak est d'entretenir leurs forêts pour témoigner de leur respect à l'égard de l'univers et de leurs ancêtres. Malheureusement, la cupidité de ceux qui détiennent le pouvoir a mis en péril l'équilibre soigneusement maintenu de cet univers.

Contexte

Depuis l'ère de « l'Ordre Nouveau » (1), sous le régime de l'ex-président Soeharto (1966-1998), les terres du peuple autochtone Dayak au Kalimantan ont été des cibles privilégiées pour des opportunités d'investissement. L'expansion des plantations de palmiers à huile dans la région a commencé au début des années 1980. Sous le régime de Soeharto, les plantations d'État se sont développées et se sont fournies en main-d'œuvre par le biais du programme de « transmigration », qui a débuté sous la domination coloniale néerlandaise, et visait principalement à garantir la main-d'œuvre des plantations dans les régions moins peuplées. Les permis de déboisement et de défrichement accordés par le ministère des Forêts dans les années 1980 ont entraîné la destruction d'environ deux millions d'hectares de forêts au profit des plantations de palmiers à huile et de la transmigration. Le gouvernement a également accordé de vastes concessions à des conglomérats nationaux impliqués dans l'industrie forestière. En 1984, les autorités du Kalimantan central, par le biais du Plan directeur de développement des plantations (RIPP, selon son acronyme indonésien), ont désigné le palmier à huile comme un produit de base dont la culture doit être massivement développée.

Lorsque la crise économique a frappé l'Indonésie dans les années 1990, l'expansion des plantations de palmiers à huile s'est intensifiée. Le Fonds monétaire international (FMI) a proposé au gouvernement de libéraliser les investissements étrangers dans le secteur de l'huile de palme. Sous prétexte de sortir de la crise économique, le gouvernement a encouragé l'expansion des sociétés transnationales de plantations de palmiers à huile. Parmi celles-ci figurent : PT. Kalimantan Lestari Mandiri (KLM Ltd), implantée entre le village de Mantangai Hulu et le village de Kalumpang, et PT. Usaha Handalan Perkasa (UHP Ltd) dans le village de Mantangai Hulu.

KLM Ltd. est une filiale d'un groupe chinois appelé Tianjin Julong, qui exploite actuellement au moins 50 000 hectares de plantations de palmiers à huile dans le pays et dispose de 140 000 hectares supplémentaires de concessions à développer. Elle possède également trois usines, deux installations de stockage dans des ports fluviaux et une installation de traitement en haute mer. (2)

Pour sa part, UHP Ltd, qui a commencé ses activités dans le pays en 2010, exploite désormais une zone de plus de 15 000 hectares de plantations de palmiers à huile, entourant les districts de Kapuas Hulu Barat et Mantangai. Les habitants de ces districts ont perdu leurs terres fertiles sans qu'aucune explication leur ait été donnée concernant les permis.

L’énorme expansion des plantations de palmiers à huile n'a cependant pas suffi.

Le Kalimantan est également devenu la cible d'un programme de grande envergure intitulé « Food Estate ». L'objectif déclaré de ce programme est de surmonter la crise alimentaire en maintenant des stocks alimentaires nationaux, notamment de riz. Il est prévu de le mettre en œuvre sur des terres qui appartenaient à l'ex-Peatland Development (PLG) (3) ainsi que sur des terres privées appartenant à des habitants du Kalimantan central. Le programme Food Estate a été intégré au Programme stratégique national (PSN) 2020-2024. Cependant, il ne diffère en rien des politiques précédentes qui visent principalement à ouvrir la voie à la spoliation des terres. Selon une analyse récente, plus de 1 500 hectares de forêts, y compris des tourbières, ont été défrichés pour le programme Food Estate. (4)

En outre, le gouvernement a commencé à planifier le développement d'une nouvelle capitale dans les forêts du Kalimantan oriental, entraînant une nouvelle série d'impacts sur les communautés autochtones. (5) Dans le même temps, la ruée vers les « concessions carbone » pour vendre des crédits carbone à des entreprises et des gouvernements pollueurs accroît la pression sur les terres autochtones et entraîne des effets négatifs sur leurs habitants. (6)

La résistance pour préserver les connaissances locales

Dans chaque récit de spoliation de terres, la résistance et la lutte apparaissent inévitablement en réponse.

Dijah est une femme Dayak qui a courageusement joué un rôle de premier plan lorsque ses terres ont été saisies par UHP Ltd. En collaboration avec des femmes de Mantangai, elle a organisé une manifestation en août 2013 pour retirer les graines de palmier à huile et les remplacer par des graines d’hévéa. Elles ont répété cette action en décembre 2014. De plus, en juin 2020, elles ont bravement entravé l'accès d'UHP à leurs terres en installant un portail en bois et en occupant le terrain pendant 12 jours. Dijah reste déterminée à sauvegarder ses terres ancestrales, quelles que soient les menaces qu'elle rencontre. « Personnellement, je n'ai aucune crainte car il s'agit de l'héritage légitime de mes ancêtres », a-t-elle déclaré avec conviction lors d'une discussion en octobre 2022 avec des membres de l'organisation féministe indonésienne Solidaritas Perempuan.

Selon Dijah, le processus d'accaparement des terres a eu lieu de manière soudaine. Elle a expliqué comment l'entreprise avait profité de son absence pour défricher rapidement le terrain. « Lorsque nous sommes revenus, le terrain avait déjà été défriché et les arbres que nous venions de planter avaient été détruits », a-t-elle raconté. Bien que Dijah reconnaisse les graves conséquences de la pratique de la résistance, les femmes Dayak considèrent la défense de leurs terres comme un impératif, malgré l'intimidation persistante à laquelle elles sont confrontées.

La BRIMOB (Brigade Mobil), qui est l'unité d'opérations spéciales, paramilitaire et tactique de la police nationale indonésienne, a arrêté Dijah. Néanmoins, cette dernière a continué à agir courageusement, et en est même ressortie renforcée par le soutien de son collectif.

Depuis le conflit foncier, Dijah et d'autres femmes de Mantangai ont participé activement à l'organisation d'un collectif appelé « Hurung Hapakat », ce qui signifie « Travailler ensemble ». Ce groupe a été fondé en 2017, quand 25 femmes ont réussi à reprendre un demi-hectare de terres du contrôle d'UHP Ltd. Sur ces terres reprises à l'entreprise, elles ont planté différentes sortes de légumes pour assurer la subsistance alimentaire de leurs familles : des haricots, du chou kale, des aubergines, des piments, du gingembre, de la citronnelle, du curcuma, des concombres et du galanga. Elles assurent collectivement l'entretien de la parcelle. Cette initiative permet également de planter des espèces de riz locales en utilisant des semences et des connaissances traditionnelles.

L'entreprise la menace toujours de la livrer à la police. « Ils profitent du fait que les gens ne connaissent pas bien les procédures légales pour les terroriser », explique-t-elle. Malgré tout cela, c'est dans la résistance au sein d'un collectif que Dijah puise sa force et sa détermination. L'espace sécurisé mis en place et maintenu par les femmes sert de forum de discussion, notamment sur les questions liées à la menace de criminalisation, ce qui lui procure un sentiment de soutien.

Le collectif est notamment préoccupé par le remplacement des semences de riz locales en raison de l'utilisation massive de semences hybrides. Il s'agit d'une conséquence de la mercantilisation de cette céréale dans le cadre de la logique de production capitaliste.

Dans les principes de la sagesse autochtone Dayak, la pratique de la culture itinérante est un moyen essentiel de préserver les semences locales. Cependant, de nombreuses semences ont été abîmées et ne peuvent plus être semées. Cela s'explique par le fait que la superficie de terres disponibles est désormais limitée et que les conditions du sol sont différentes. À cela s'ajoute la complexité de l'application des pratiques ancestrales dans ces circonstances et la difficulté de comprendre l'évolution de la nature.

Les Food Estates qui ignorent les pratiques ancestrales aggravent également la situation. Les semences de riz plantées dans ces Estates sont des semences de denrées de base, telles que l'Inpari 16. Ce projet est donc incompatible avec les caractéristiques du sol dominant du Kalimantan : la tourbière. Pour les femmes Dayak, les Food Estates risquent de porter atteinte à leur environnement au lieu de créer la prospérité mise en avant par le gouvernement. « Après la disparition de toutes nos cultures locales, comment pourrions-nous être prospères ? », demande Dijah.

Pour assurer la protection de leurs terres, les femmes Dayak ont adopté une approche stratégique de la culture. Remi, une autre membre du collectif Hurung Hapakat, croit fermement que la culture des terres est une manifestation tangible de leur défense. « Si nous la laissons être envahie par la végétation, les gens la percevront comme une terre en friche et se sentiront en droit de s'en emparer En revanche, si nous la cultivons constamment, ils n'oseront plus le faire » affirmait-elle avec conviction en octobre 2022.

Le processus en cours de récupération de leurs terres est étroitement lié à la sensibilisation menée par le biais de discussions et de réunions, notamment en ce qui concerne la continuité du mouvement de femmes qu'elles ont mis en place. Sri, une autre membre de Hurung Hapakat, explique : « Il est crucial d'avoir un mouvement de femmes parce que parfois les femmes sont perçues comme faibles lorsqu'elles agissent seules, mais lorsque nous nous réunissons en tant que groupe, nos voix sont plus facilement entendues », ce qui souligne l'importance vitale de la création et du maintien d'un mouvement de femmes.

Tisser le rotin, coudre l'espoir

Il n'y a pas qu'à Mantangai que les femmes organisent ensemble la résistance. Un autre collectif de femmes a également été créé dans le village de Kalumpang, Kapuas, dans le Kalimantan central. Leur résistance au défrichement à grande échelle a favorisé l'émergence d'un sentiment de solidarité entre les femmes du village. Lorsque les autorités ignorent leurs avis et leurs demandes, elles trouvent des moyens de se soutenir mutuellement.

La construction sociale relative aux rôles des hommes et des femmes au sein du village rend malheureusement la prise de décision collective très biaisée, en faisant des hommes les uniques décideurs. De ce fait, de nombreux projets sont mis en œuvre dans le village sans que les femmes n'en soient informées ou n'y consentent. Cette situation les a encouragées à proposer un règlement villageois qui promeut et facilite la participation des femmes à la prise de décision. Cette initiative a été accueillie favorablement par le chef du village, qui s'est montré disposé à accepter et à soutenir une participation accrue des femmes à l'élaboration des décisions du village. Pour Rica, une femme du village de Kalumpang, « la participation des femmes à la prise de décision est importante ».

Les femmes de Kalumpang ont également formé deux groupes pour assurer leur indépendance économique : un groupe de parcelles collectives et un groupe de tissage du rotin. Le premier compte 20 membres et vise à cultiver des légumes pour répondre à leurs besoins quotidiens tout en assurant la souveraineté alimentaire, tandis que le second compte 8 membres et vise à préserver leur savoir traditionnel en matière de tissage du rotin.

Conformément à la philosophie de vie des Dayaks, Rica et les femmes de Kalumpang continuent de maintenir l'équilibre de leur vie dans les forêts en préservant et en respectant ce qui les entoure, notamment le rotin, qui a été entièrement brûlé lors des incendies de forêt de 2015. « Depuis, il [le rotin] est difficile à trouver, alors nous avons recommencé à le planter, pour qu'il soit encore utile », a déclaré Mme Rica.

Grâce au rotin, les groupes de femmes de Kalumpang ont introduit différents types d'articles tissés – sacs, accessoires, nattes et autres formes d'artisanat. Le tissage rend également leurs discussions beaucoup plus agréables. Actuellement, de nombreuses personnes connaissent leurs produits grâce à leurs ventes collectives. Un autre avantage est que cela peut aussi les aider à prolonger la lutte. Tant qu'elles tisseront, le rotin restera cultivé sur les terres du Kalimantan. « En plantant du rotin ou d'autres arbres, nous défendons aussi notre terre », dit-elle avec enthousiasme.

Une réflexion sur et avec le peuple Dayak ne sera jamais complète sans une réflexion sur le Kaharingan, la religion autochtone des Dayak. Kaharingan signifie « exister, croître ou vivre ». Il est symbolisé par le Garing ou arbre de vie, qui signifie l'équilibre ou l'harmonie dans les relations entre les êtres humains, entre les êtres humains et la nature, et entre les êtres humains et Dieu. Les Dayak, en particulier les Benawan Dayak, défendent la valeur du respect de la terre, de l'eau et des forêts. Pour eux, tous ces éléments contiennent une vie qui doit être continuellement protégée. C'est pourquoi les Dayak font preuve d'une grande sagesse dans leur manière de traiter la nature et de construire leur vie sociale, conformément à la mission que leur ont confiée leurs ancêtres, résumée dans l'expression « Haga Lewun Keton, Petak Danom, ela sampai tempun petak nana sare ». Cette mission, intériorisée par le peuple Dayak, le pousse à protéger ses villages et ses terres.


Annisa Nur Fadhilah.
Solidaritas Perempuan – Indonésie

 

(1) L'Ordre Nouveau (en indonésien, Orde Baru, abrégé Orba) est le terme inventé par le deuxième président indonésien Soeharto pour caractériser son administration depuis son arrivée au pouvoir en 1966 jusqu'à sa démission en 1998.
(2) China Dialogue, From palm to Plate.
(3) En 1995, le président Soeharto a promulgué un décret présidentiel visant à transformer un million d'hectares de tourbières du Kalimantan central en rizières. En 1999, le président B.J. Habibie a mis fin au projet, mais d'énormes dégâts avaient déjà été causés et de vastes communautés affectées. Les tourbières dégradées ne peuvent plus jouer leur rôle de réservoir d'eau ou de régulateur hydrologique, d'où les fluctuations spectaculaires du niveau des eaux souterraines, qui entraînent de fréquentes inondations pendant la saison des pluies et des incendies pendant la saison sèche. Il existe actuellement des dizaines de concessions de palmiers à huile dans cette région. Des incendies se déclarent souvent à l'intérieur de ces concessions, mais les entreprises qui en sont propriétaires sont rarement inculpées. Voir aussi ici.
(4) Mongabay, High-carbon peat among 1,500 hectares cleared for Indonesia’s food estate, April 2023.
(5) Bulletin WRM 259, La coercition imposée par le mégaprojet de nouvelle capitale indonésienne et le mépris de la voix du peuple Balik, janvier 2022.
(6) WRM, 15 ans de REDD, Le projet REDD+ du Katingan en Indonésie : la marchandisation de la nature, du travail et de la reproduction des communauté, avril 2022.