Chili : la résistance du peuple mapuche à l'invasion des plantations d'arbre

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La commune de Lumaco, peuplée de 11 405 personnes, est située dans la neuvième région du Chili. Du point de vue de l'ancienne territorialité mapuche et des identités actuelles revendiquées dans la région, Lumaco correspond au centre politique du territoire mapuche-nalche (que l'on appelle aussi « nagche » et « nag-che »).

Bien que l'étendue de la forêt indigène de la commune soit aujourd'hui très réduite (14 982 hectares, soit 13,4 % de la superficie), qu'elle soit très fragmentée et que son état de conservation soit inquiétant, la forêt de Lumaco fait partie d'une des dernières grandes forêts humides de la région tempérée froide de la planète. En ce qui concerne les ressources alimentaires pour les humains, bien que le nombre d'espèces végétales y soit moindre que dans les forêts tropicales, il existe dans ces forêts de nombreuses plantes utiles pour l'alimentation (des fruits, des tiges, des tubercules, des racines et des graines), ainsi qu'une grande variété de champignons en quantité considérable.

C'est dans cette région que, pendant la dictature militaire, les grandes plantations d'arbres en régime de monoculture furent violemment introduites, en application d'une législation encore en vigueur dont le principal instrument est le Décret-loi nº 701. Ces plantations déplacèrent les systèmes agricoles et la forêt indigène. La fragilité écologique et la faible aptitude des terres à l'agriculture permirent de les considérer comme propres à l'afforestation, grâce à quoi les plantations d'arbres furent encouragées en tant que seule activité viable pour combattre et freiner l'érosion. Or, ces considérations ne tiennent pas compte de l'existence de méthodes et de techniques de production agricole qui sont appropriées dans ce genre de situation ; elles ne tiennent pas compte non plus d'autres possibilités de production, telles que la plantation de certains arbres fruitiers (cerisiers, oliviers, airelles), à la place de l'afforestation industrielle.

Dans un territoire où la population est composée de Mapuche à plus de 70 %, les populations mapuche n'occupent que 15 % des 111 900 hectares de la commune. Pour la plupart d'entre elles, l'activité forestière a été néfaste. Premièrement, elle a contribué à une diminution considérable de la population rurale, en bouleversant ses systèmes économiques et ses stratégies de subsistance. Deuxièmement, malgré les promesses de bien-être économique annoncées par les promoteurs de ce modèle forestier, la population des régions où il est mis en oeuvre n'a pas accès à ses bénéfices supposés. D'après une enquête menée en 2000, les indices de pauvreté sont élevés à Lumaco : 60 % de la population sont au-dessous du seuil de pauvreté, et 33 % d'entre eux dans la pauvreté extrême. D'autres indicateurs y sont associés : le taux d'analphabétisme est de 23,7 %, la désertion scolaire de 26,3 % et le taux de mortalité infantile de 17,05 %. Selon le PNUD (2000), l'Indice de développement humain pour la commune de Lumaco est de 31,9 %, un chiffre considéré comme très faible et qui fait figurer Lumaco parmi les communes les plus mal placées du Chili.

D'autre part, l'expansion explosive des surfaces plantées de pins et d'eucalyptus est considérée comme responsable d'une série de processus de dégradation environnementale grave dans la commune : la destruction de la forêt indigène, la perte de diversité biologique, la réduction et la contamination des réserves d'eau superficielles et souterraines, l'érosion et d'autres processus de détérioration du sol tels que le compactage. Des troubles de santé ont été constatés également au sein des communautés voisines des plantations.

Tandis qu'un petit nombre de producteurs forestiers moyens et grands (qui habitent surtout dans les zones urbaines de Lumaco et des communes voisines) et de producteurs de pâte (des entreprises nationales et transnationales) bénéficient de la situation, la population rurale en subit les effets négatifs sur les systèmes économiques et de production, sur l'environnement, sur la santé (physique et mentale) et sur la culture ; l'ensemble porte un préjudice grave à la qualité de vie des habitants.

Du point de vue culturel, l'expansion forestière a provoqué l'appauvrissement des Mapuche en matière de connaissances et les a empêchés de reproduire leur style de vie. À titre d'exemple, la disparition de la forêt indigène a eu des incidences socioculturelles comme la modification des critères d'alimentation, l'abandon progressif de la médecine traditionnelle, la disparition des croyances et des rapports avec le monde spirituel.

La lutte des organisations mapuche contre ce processus néfaste s'est fondée sur des arguments ethniques et politiques en défense de leur patrimoine culturel, montrant ainsi que la préservation de la culture peut être une stratégie de poids pour s'affronter au modèle forestier.

En décembre 1997, des Mapuche de Lumaco occupèrent des plantations, puis mirent le feu à deux camions qui sortaient du bois de l'établissement Pidenco situé dans cette commune. À partir de cet incident, un dialogue direct s'établit entre les entrepreneurs et l'État, ce dernier assumant un rôle défensif et offensif qui se traduisit par le recours à la Loi de Sécurité intérieure de l'État. Ce fut aussi le début d'une nouvelle étape dans les revendications de la population mapuche. Les membres et les dirigeants des organisations mapuche ont toujours fortement critiqué la présence des entreprises forestières dans la région, ces critiques ayant été leur seule manifestation organisée. Elles portent sur divers aspects qui, du point de vue de la culture mapuche, sont liés entre eux. Parmi ces aspects, les rapports entre l'environnement et la culture ont un rôle de choix, puisque la perte de ressources implique la perte de connaissances, et donc la paupérisation de leur niveau de vie. Ils ont fait des propositions pour tâcher de résoudre les problèmes du manque de terres, de la pénurie d'eau et de la diminution de la production agricole, dont ils blâment les entreprises forestières en tant que responsables directs, et l'État en tant que complice.

Ils ont subi des procès, des emprisonnements et des persécutions ; des perquisitions domiciliaires et la surveillance permanente dans les communautés ; des coups, des coups de feu, des enlèvements et des menaces de mort de la part de carabiniers, d'enquêteurs et de civils non identifiés, et même le meurtre de trois jeunes mapuche, lequel est resté impuni. De même, en plus de la Loi sur la Sécurité intérieure de l'État, des lois de nature spéciale créées par le régime militaire pour réprimer l'opposition à la dictature leur ont été appliquées ; c'est le cas de la Loi antiterroriste (nº 18314).

À l'heure actuelle, plus de 200 Mapuche de la commune ont subi des procès, et 11 prisonniers politiques mapuche se trouvent dans les prisons de Concepción, Angol, Traiguen et Lebu. Parmi eux figurent des Lonko (autorités traditionnelles), des dirigeants et des Werken des communautés. D'autres encore vivent dans la clandestinité ou sont soumis à des mesures de surveillance. Les accusations à leur encontre sont fondées sur les déclarations de témoins sans visage et sur de faux témoignages. Le ministre de l'intérieur de Bachelet a lui-même reconnu qu'il y avait des sentences contradictoires, et le parti politique de la présidente a accepté que, pendant le gouvernement de Lagos, la législation antiterroriste avait été utilisée de manière disproportionnée et injuste, donnant lieu à des procès aberrants, comme dénoncé par le relateur des Nations unies pour les droits indigènes.

Dans ce contexte, Patricia Troncoso, Juan Huenulao, Jaime Marileo et Juan Marileo, prisonniers politiques mapuche dans la prison d'Angol, accusés et condamnés pour incendie terroriste à une peine de dix ans et un jour et au paiement d'une indemnité de 424 964 798 $ à l'entreprise forestière MININCO, ont commencé le 13 mars une grève de la faim pour un temps indéfini, pour exiger la liberté de tous les prisonniers politiques mapuche, la non-application de la loi antiterroriste et la révision de la cause pour laquelle ils ont été injustement condamnés.

La grève de la faim a suscité de nombreuses mobilisations au Chili, et les protestations ont accompagné dans sa tournée européenne la présidente Michelle Bachelet ; le 10 mai dernier, le prix Nobel José Saramago l'a exhortée à « regarder les Mapuche ».

Pendant que la répression et les détentions se poursuivaient dans les communautés mapuche, des négociations tendues avaient lieu ; le 14 mai 2006 les grévistes ont suspendu leur mesure, les parlementaires du gouvernement s'étant engagés à approuver une loi qui permettrait leur libération conditionnelle en régime de surveillance. Or, le projet n'avait pas d'appui politique au sein de la coalition gouvernementale. Le sénateur Soledad Alvear (DC), présidente du parti principal, a déclaré que le projet serait inconstitutionnel car il violerait « l'égalité devant la loi ». Le 16 mai, peu après la suspension de la grève, le gouvernement a déclaré, par l'intermédiaire de la ministre Paulina Veloso, qu'il n'appuyait pas le projet de loi. De son côté, la présidente Michelle Bachelet a déclaré le 23 mai dernier qu'il s'agissait de « délinquants » condamnés, et qu'elle ne pouvait pas intervenir dans les décisions des tribunaux.

La classe politique chilienne n'ayant pas respecté les accords passés, les quatre prisonniers mapuche se sont estimés trompés, victimes d'une manoeuvre politique, et ont repris la grève de la faim. La situation des grévistes mapuche est délicate et ils ont été hospitalisés. Pour sa part, la classe politique chilienne a serré les rangs et prétend rendre les Mapuche responsables de la rupture des accords et de l'échec d'une solution légale qui, en fait, n'avait pas de soutien politique.

La crise de confiance entre les indigènes et l'État s'est profondément aggravée au Chili, au point que seule une médiation internationale est susceptible de résoudre le problème par la voie de la paix et de la primauté des droits de l'homme.

En attendant, la vie de quatre prisonniers mapuche est en péril. Leur grève de la faim symbolise en ce moment la résistance du peuple mapuche à une législation génocide, taillée sur mesure pour les grandes entreprises forestières. Le Mouvement mondial pour les forêts tropicales vous exhorte à rejoindre leur demande « d'annulation de l'accusation dans la cause injuste intitulée ‘Incendie terroriste Poluko Pidenko' et la libération immédiate des prisonniers politiques mapuche », en manifestant votre adhésion sur : http://www.nodo50.org/varios/mapuches/index.php#4 .

INFORMATION DE DERNIÈRE MINUTE : le 26 mai, de nouvelles négociations ont décidé les Mapuche en grève de la faim à lever la mesure, dans l'espoir que, grâce à un accord avec quatre garants, un projet de loi leur permettra d'obtenir la liberté surveillée.

Article fondé sur des extraits du rapport : “ Contexto económico y social de las plantaciones forestales en Chile. El caso de la Comuna de Lumaco, región de la Araucanía”, août 2005, par René Montalba Navarro, Noelia Carrasco Henríquez et José Araya Cornejo (la version intégrale est disponible sur http://www.wrm.org.uy/paises/Chile/LibroLumaco.pdf ) ; communiqués de l' Agrupación De Familiares Y Amigos De Los Presos Políticos Mapuche, http://www.presospoliticosmapuche.org/index_archivos/Noticias.htm ; contributions de Víctor Toledo Llancaqueo, Centro de Políticas Públicas, adresse électronique : centro@politicaspublicas.cl , http://www.politicaspublicas.cl .